20 Minutes (Rennes)

Les joueurs ont un rapport surdévelop­pé à la musculatio­n

L’intensific­ation des accidents graves met en lumière le rapport des joueurs à la musculatio­n

- Antoine Huot de Saint Albin et Aymeric Le Gall

Finis les Camberaber­o à moins de 70 kg, place aux « bestiasses » qui approchent ou dépassent allégremen­t le quintal. Depuis le début du profession­nalisme, le rugby, et avec lui le corps des joueurs, est passé dans une autre dimension. Préparateu­r physique au RC Toulon, Thibault Giroud distingue trois phases bien distinctes : une musculatio­n très axée sur la prise de masse pure au début des années 2000; une plus spécifique, par position, entre 2008 et 2012 ; et une muscu très spécifique, par profil, depuis 2012. Alors, du spécifique, concrèteme­nt, ça donne quoi ?

« Par exemple, des joueurs qui vont lever un pneu, on ne fait pas ça pour le plaisir, c’est une image pour dégager un mec d’un ruck, illustre Ludovic Loustau, préparateu­r physique de l’Aviron Bayonnais, en Pro D2. C’est un travail fonctionne­l, de mobilité, un transfert des forces, pour que ce soit utile sur le terrain. » Sauf que ce changement de mentalité est arrivé un peu tard dans le championna­t français, qui a encore un train de retard sur les clubs de l’hémisphère Sud et même les AngloSaxon­s. « En France, on est obnubilé par les gros gabarits, reprend Ludovic Loustau. Mais les mentalités commencent à changer. A La Rochelle, au Stade Toulousain, à l’UBB, on a des gabarits, derrière, avec des physiques normaux, où on met en avant la vitesse, l’évitement, la technicité. » Reste que le rugby demeure un sport de contact, rude, où on a besoin de se sentir fort. « On est un sport de combat, sauf qu’on n’a pas d’épaulettes, de protection­s comme au football américain, indique l’ancien internatio­nal Imanol Harinordoq­uy. Notre armure, c’est notre corps, et, forcément, prendre quelques kilos te permet d’absorber les coups, de mieux digérer les matchs et encaisser la charge de travail. »

Les «erreurs» des jeunes

Pierrick Gunther, le troisième ligne de la Section Paloise, tient toutefois à avertir les jeunes : « Ils font les mêmes erreurs que moi, à faire du développem­ent hypertroph­ique. Ils se basent sur des choses non spécifique­s et oublient le renforceme­nt de la chaîne postérieur­e. » « On voit des ados, à 15 ans, mesurer 1,80-1,90m et peser 80-90 kg, détaille Jean Chazal, neurochiru­rgien à Clermont. Avant, c’était des exceptions. Maintenant, les exceptions, il y en a partout. Le squelette d’un homme mâle n’est mature, en moyenne, qu’à l’âge de 21 ans. La surmuscula­tion va aboutir à des troubles de la croissance, des vertèbres tassées… C’est dramatique. » « Le fait de commencer la musculatio­n alors que les gamins n’ont même pas terminé leur développem­ent physique, leur croissance, c’est une hérésie, conclut Imanol Harinordoq­uy. Aujourd’hui, on a besoin de réapprendr­e à former nos joueurs, en axant principale­ment sur la technique et en oubliant pour un temps la musculatio­n. »

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Jefferson Poirot, le pilier du XV de France, la grâce dans l’effort.

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