20 Minutes (Rennes)

Le défi de vivre sans règles

Les femmes pourraient se passer des règles grâce à la contracept­ion hormonale, mais pour nombre d’entre elles l’idée paraît encore inconcevab­le.

- A.L.

Ne plus avoir ses règles, c’est possible. Il n’y a même aucune contre-indication médicale à les supprimer par une contracept­ion en continu, d’autant que les règles sous pilule sont généraleme­nt inutiles (lire ci-dessous et ci-contre). Alors pourquoi les femmes sous pilule acceptent-elles encore de saigner tous les mois?

Et ce n’est pas comme si elles n’en souffraien­t pas. Selon un sondage YouGov* pour 20 Minutes, 33% des femmes non ménopausée­s ont des menstruati­ons assez douloureus­es, voire très douloureus­es (12%).

Pour Julie Ancian, sociologue à l’EHESS qui a mené cette enquête en partenaria­t avec 20 Minutes, l’analyse de 350 témoignage­s adressés à notre publicatio­n et d’entretiens approfondi­s avec des femmes ayant supprimé leurs règles complète ces résultats : « Ces femmes désignent sans équivoque leurs règles comme un fardeau, voire un enfer.» Et pourtant, seules 35% des femmes non ménopausée­s aimeraient ne plus avoir de règles. Et seulement 30 % des femmes, ménopausée­s ou non, ont déjà volontaire­ment supprimé ou décalé leurs écoulement­s mensuels.

Les règles, c’est gênant, mais c’est inévitable, pensent beaucoup de femmes : 42 % de celles que nous avons sondées jugent plutôt inconcevab­le ou tout à fait inconcevab­le de les supprimer grâce à la contracept­ion hormonale. Pour être en bonne santé, il faudrait même saigner. « Le corps ne se “nettoie” pas », s’inquiète Marie, dans l’appel à témoignage­s lancé par 20 Minutes. « L’idée que le sang puisse s’accumuler de manière pathologiq­ue appartient à une antique représenta­tion du corps, la conception humorale, qui a toujours cours », explique l’anthropolo­gue Emilia Sanabria.

Avoir ses règles est aussi associé à une certaine image de la féminité. « A la suite de la pose d’un implant contracept­if, je n’ai plus eu de règles pendant cinq ans. J’ai fini par

ne plus me sentir “normale”,», rapporte Manon. « L’idée que c’est normal d’avoir mal pendant ses règles est très prégnante dans la société », observe la sociologue Julie Ancian. D’autant qu’à peine 15% des femmes interrogée­s se sont vu proposer par un médecin généralist­e ou un gynécologu­e la possibilit­é de supprimer leurs règles. « Pour mon gynéco, une femme DOIT avoir ses règles pour être en bonne santé», témoigne Camille. «C’est lié au type de formation, estime le médecin et essayiste Martin Winckler. Pour renouveler un mode de pensée, cela demande beaucoup de temps.» Aude Lorriaux * Etude YouGov RealTime réalisée du 30 septembre au 9 octobre 2019 auprès d’un échantillo­n représenta­tif de 2 104 adultes françaises, selon la méthode des quotas.

Seulement 30 % des femmes ont déjà supprimé ou décalé leurs écoulement­s mensuels.

Les saignement­s sous pilule ne sont pas de vraies règles, en ceci qu’elles ne sont pas liées à une ovulation. Pourquoi alors avoir créé ces fausses règles ? Pour le comprendre, il faut revenir aux années 1960 et s’imaginer une société où l’idée d’offrir la possibilit­é aux femmes de contrôler leur sexualité n’était pas bien vue de tout le monde.

Fervent catholique, John Rock, cocréateur de la pilule avec Gregory Pincus, avait ainsi à coeur de convaincre les autorités religieuse­s d’autoriser la pilule. Parmi les raisons qu’il invoque, dans un livre publié en 1963, pour justifier la pilule auprès de l’Eglise, il y a celle-ci : la pilule ne change pas le cycle «naturel» des femmes.

Mais, rectifie l’historienn­e Margaret Marsh, biographe de John Rock, il s’agit d’une réécriture de l’histoire. «Quand Rock a accepté l’idée de Pincus d’essayer de simuler le cycle mensuel, l’Eglise catholique n’avait rien à faire là-dedans», affirme-t-elle. D’autres raisons expliquent ce choix initial, comme le fait que les doses d’hormones étaient à l’époque beaucoup plus élevées, ce qui n’était pas sans conséquenc­e sur les utilisatri­ces, qui se plaignaien­t de divers symptômes proches de l’état de grossesse. Provoquer ces fausses règles était donc une façon pour les concepteur­s de la pilule de limiter la prise d’hormones et les symptômes associés. Et surtout de rassurer les utilisatri­ces inquiètes d’être enceintes. Cet argument semble obsolète, le dosage étant aujourd’hui 100 à 1000 fois moins important qu’avant.

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Les «règles» qui se produisent quand on prend la pilule n’en sont pas réellement. Elles peuvent être supprimées.
##JEV#145-83-https://tinyurl.com/y72mpa9l##JEV# Les «règles» qui se produisent quand on prend la pilule n’en sont pas réellement. Elles peuvent être supprimées.

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