20 Minutes (Rennes)

« Il ne faut pas parler à l’enfant, mais avec lui »

Dans un livre qu’il vient de publier, l’auteur Florent de Bodman insiste sur l’importance de converser avec son bébé dès la naissance

- Oihana Gabriel Superstock / Sipa

« En 2022, ayons l’audace de miser sur les bébés. » Alors que la présidenti­elle approche, il est un sujet dont on parle peu. Et que Florent de Bodman espère mettre en lumière : l’incroyable potentiel des tout-petits. Cet énarque, qui dirige l’associatio­n 1 001mots et aide des parents d’enfants âgés de 0 à 3 ans, vient de publier À portée de mots, parler avec son bébé peut changer sa vie (éd. Autrement).

« Parler à son bébé peut changer sa vie », dites-vous. Vraiment ?

J’en suis convaincu. Une étude américaine a beaucoup compté dans mon engagement dans la petite enfance. Dans les années 1970, des chercheurs ont créé une crèche pilote où l’on parlait beaucoup aux enfants âgés entre 0 et 5 ans. On observe que les enfants passés par cette crèche ont deux fois plus de chances d’apprendre à lire, de faire des études supérieure­s et deux fois moins de risques d’être au chômage… C’est une démonstrat­ion rigoureuse : donner un environnem­ent favorable aux tout-petits peut avoir des bénéfices pour toute la vie !

Les inégalités commencent donc avant l’entrée en maternelle ?

Tout à fait. Une autre étude américaine, qui date de 2003, a comparé le niveau de vocabulair­e à 3 ans. Des enfants de familles aisées maîtrisaie­nt 1 000 mots, contre 500 pour ceux de familles défavorisé­es. Une des explicatio­ns, c’est que des parents qui ont fait des études et ont des ressources font en moyenne davantage la conversati­on à leurs enfants.

Pourtant, parler à son bébé n’est pas évident pour tous…

J’ai souvent rencontré des pères qui pensent qu’un bébé de 6 mois ne comprend pas ce qu’on lui dit. En ce qui concerne les livres, pas mal de parents n’ont pas l’idée que ça peut intéresser un tout-petit. Or les linguistes expliquent que les capacités de compréhens­ion sont bien en avance sur le langage. À 1 an, un enfant comprend 80 mots différents alors qu’il ne parle pas. Les neuroscien­ces montrent de plus en plus que la petite enfance est une période extraordin­aire pour l’apprentiss­age. Un enfant de 2 ans a deux fois plus de connexions neuronales qu’un adulte !

« À 1 an, un enfant comprend 80 mots différents alors qu’il ne parle pas. »

Quels conseils donnez-vous pour susciter la curiosité de l’enfant ?

Il ne faut pas parler à l’enfant, mais avec lui. Les orthophoni­stes avec qui je travaille insistent sur l’importance de s’adresser à lui, se mettre à sa hauteur, le regarder dans les yeux. On peut essayer d’avoir un dialogue en choisissan­t des questions ouvertes. Par exemple, au lieu de dire « est-ce que tu veux manger ? », qui appelle un oui ou non, on va préférer « à quoi est-ce que tu voudrais jouer ? » Et attendre cinq secondes pour voir s’il y a une réponse. L’enfant peut sourire, faire un geste, puis des mots.

Le regard sur la petite enfance est-il en train de changer ?

Petit à petit, mais on revient de loin. La question des bébés reste pour beaucoup une « histoire de bonnes femmes ». J’ai fait mes études à l’ENA et travaillé au ministère des Finances. Autant dire que les bébés, ce n’était pas du tout un sujet important là-bas.

Justement, vous espérez que la campagne présidenti­elle de 2022 prendra à bras-le-corps ce sujet. Quelles sont vos priorités ?

J’en vois trois. La première : créer 200 000 places de crèche d’ici à dix ans, en particulie­r dans les zones qui en manquent, banlieues et zones rurales, sachant qu’il en existe 400 000 actuelleme­nt. La deuxième chose, c’est que les salaires des profession­nelles soient augmentés. On ne peut pas leur demander d’avoir une pédagogie riche et les payer au smic. Enfin, il faudrait faire un effort d’investisse­ments pour aider les parents à être parents. En moyenne, un enfant passe 80 % de son temps avec eux. Or l’État dépense 30 milliards par an pour proposer des modes de garde… et 200 fois moins pour accompagne­r les parents.

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Un environnem­ent favorable aux tout-petits peut avoir des bénéfices à long terme.
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