Les superpouvoirs de l’imaginaire
Anne Besson, professeure de littérature et autrice, explique l’impact des oeuvres de fantasy et de science-fiction dans nos vies publiques.
Il y a dix ans, des millions de personnes débarquaient sur le continent de Westeros. Analysée, citée ou parodiée dans le monde entier, la série de HBO, Game of Thrones, allait devenir le phénomène culturel le plus marquant de la décennie. Anne Besson, professeure de littérature à l’université d’Artois et autrice des Pouvoirs de l’enchantement, Usages politiques de la fantasy et de la science-fiction
(éd. Vendémiaire), éclaire l’impact des oeuvres de l’imaginaire dans nos vies publiques.
Il y a dix ans, le grand public découvrait Game of Thrones. Aujourd’hui, tout le monde connaît Daenerys et Jon Snow. Est-ce une consécration pour la fantasy ?
La science-fiction, la fantasy, les littératures de l’imaginaire… Toutes ces cultures de niche ou sous-cultures marginales associées à des populations bien précises se sont démocratisées. Les preuves de cela sont les succès populaires et commerciaux, mais aussi la valorisation de la culture geek par les politiques. L’équipe de Macron se gargarise d’être fan de Star Wars. Justin Trudeau, Premier ministre du Canada, met des chaussettes Chewbacca. Pablo Iglesias, leadeur politique espagnol, a écrit un livre sur Game of Thrones et portait un tee-shirt Daenerys, personnage qui représentait un avenir social, selon lui. Cet imaginaire partagé a une force de cohésion. On ne peut pas imaginer un politique qui ne connaisse pas Harry Potter.
Peut-on imaginer un futur président de la République française qui se déclare Poufsouffle ?
Je pense que le grand public n’est pas prêt pour Poufssoufle [une des quatre maisons de Poudlard]. Mais si un candidat à la présidentielle de 2022 est interviewé sur Twitch et qu’un gros influenceur lui demande quelle est sa maison Harry Potter, il faudra qu’il sache répondre.
On voit aussi des références à Hunger Games ou The Handmaid’s Tale dans des manifestations. Le fantastique est-il subversif ?
Le signe de Katniss, les deux doigts levés, est le symbole du danger de la révolte d’un peuple contre une tyrannie, et de la mise en danger de soi-même. Quand les manifestants à Hong Kong ou en Thaïlande en font usage, ils lancent un appel à une reconnaissance de leur lutte par le reste du monde. De même, utiliser le costume des servantes de The Handmaid’s Tale permet à chacun de reprendre le rôle d’esclaves qui s’affranchissent. Avec un uniforme, on est à la fois moins et plus que soi, c’est la définition même de l’individu en contexte militant : je fais corps commun, je m’efface et, à la fois, je suis plus que moi, j’incarne une lutte qui me dépasse. Les fans de Game of Thrones ont imaginé des fins alternatives, ceux de Harry Potter se détournent des prises de position de J.K. Rowling…
L’engagement créatif de fans et de communautés dans la réécriture ou le commentaire de ces oeuvres a-t-il un rôle politique ?
Le terme «engagement» est très polysémique dans ce contexte. On ne perçoit pas forcément la dimension engagée, c’est-àdire en prise avec les enjeux du réel, des oeuvres fantastiques. Or, ces fictions permettent une éducation politique qui n’est pas forcément assurée par ailleurs. Matrix ou Game of Thrones permettent de penser la société et la vie commune.
Hunger Games ou Game of Thrones sont aussi des fictions très dures, qui décrivent des univers violents. Comment, alors, y voir une source d’espoir ?
Le contexte
Au-delà de GOT, les références aux mondes fantastiques ont envahi le monde réel : des manifestants reprennent le signe de ralliement de Hunger Games, des politiques citent Harry Potter, des policiers parodient Star Wars…
Les fictions permettent de sortir par le haut de ce qui nous est présenté comme le champ du possible : la tyrannie, les catastrophes climatiques… On a beaucoup dit que l’invasion des marcheurs blancs dans Game of Thrones était une métaphore de la catastrophe écologique. Or, le dénouement de l’oeuvre nous permet de nous projeter sur l’après-catastrophe. La fiction fantastique permet de dépasser la sidération, qui est celle de la collapsologie.
«On n’imagine pas un politique ne connaissant pas Harry Potter.»
«La fiction permet de dépasser la sidération.»