« Le lien entre la France et la Québec nous appelle les uns vers les autres »
On ne peut pas dire que les Français s’intéressent beaucoup au Québec, malgré leur proximité linguistique. La réciproque n’est pas vraie. La semaine dernière, YvesFrançois Blanchet, député québécois à la Chambre des communes du Canada, était de passage à Paris. Ce dernier est aussi le chef du Bloc québécois (32 députés sur les 78 du Québec), parti qui milite pour l’indépendance du Québec. Auprès de 20 Minutes, il explique l’importance de la filiation entre la France et le Québec, et celle de la défense de la langue française.
Comment expliquer aux Français l’idée d’indépendance du Québec, portée par une part importante de la population québécoise ?
Le mouvement souverainiste a pris de l’ampleur dans les années 1960, lors de la « Révolution tranquille ». Il venait d’un désir de reconnaissance d’une société québécoise, distincte du reste du Canada, et d’une volonté de récupérer les droits cédés par le Québec à la fédération canadienne lors de sa création [au XIXe siècle]. Notre rôle, au Bloc québécois, est de défendre les intérêts des Québécois au Parlement canadien. Mais nous ne laisserons jamais tomber l’idée de souveraineté, c’est notre mission fondamentale de rester les porteurs de l’idée d’indépendance.
Pourquoi est-ce important, pour vous, de passer par Paris ? Cela permet de perpétuer « la diplomatie d’indépendance », cette volonté du mouvement souverainiste québécois de se faire reconnaître. Au premier chef en France, qui est notre point de chute affectueux et naturel. Cela a été négligé par le gouvernement, y compris par le mouvement souverainiste, pendant des années. Malgré le traité de libreéchange avec l’Europe [de 2017], qui a été commencé par le Québec, la relation s’est restreinte à des contacts d’apparat ou commerciaux, alors que l’amitié franco-québécoise a le devoir mutuel d’aller bien au-delà. Le lien historique entre la France et le Québec nous appelle les uns vers les autres.
Les sociétés québécoise et française sont différentes, mais des sujets franchissent parfois l’océan, comme celui de la laïcité. Comment l’expliquer ? En France, et dans une certaine mesure au Québec, on associe beaucoup la laïcité au débat sur l’immigration. Or, au Québec, ce débat est d’abord linguistique. Il porte sur la capacité du Québec, avec une population de 8,5 millions d’habitants, à préserver son identité linguistique. Mais aussi un certain nombre de valeurs issues de la « Révolution tranquille », dont une émancipation de l’autorité ou de l’intrusion du religieux dans les affaires de l’État.
Quel regard portez-vous sur Emmanuel Macron ?
Je me vois mal porter un jugement sur un gouvernement qui, si ami soit-il, est étranger. Je dirai seulement que, si le gouvernement français exprimait davantage d’intérêt pour le Québec, les Québécois l’apprécieraient beaucoup. Les visites des chefs d’État français au Québec sont en général une source de grande fierté pour nous. On a été un peu déçus de l’annulation du discours d’Emmanuel Macron à l’Assemblée nationale du Québec, il y a quelques années [en 2018]. Comme on a été franchement irrités par celui de Nicolas Sarkozy à cette même Assemblée [dix ans plus tôt], qui a assimilé à la notion de souveraineté du Québec celle de rejet de l’autre.
Le Québec est souvent en pointe pour la défense de la langue française et du « fait français » en Amérique du Nord, souvent bien plus que la France.
Cela vous déçoit-il ?
Je pense que la meilleure défense de la langue française, c’est la mise en valeur et la promotion de sa beauté, de sa majesté, de son histoire et de sa poésie. Je me plais à dire que je n’aurais jamais séduit ma conjointe si je ne l’avais pas fait en français. Cela dit, le français au Québec a dangereusement besoin que les Québécois en fassent le véhicule de leur fierté. Lorsque je vois en France l’apparition de mots anglais, mon sentiment, c’est de la tristesse.
La France doit-elle en faire plus ? La France est une des nations qui devraient être les plus fières de leur rôle civilisateur en Occident. Cette fierté-là devrait paraître dans la transmission d’une langue qui a cette trace dans l’Histoire. On sent un lointain effet d’après-guerre, où les États-Unis sont encore un mythe qui, peut-être, porte des gens de beaucoup de pays à accorder à l’anglais des vertus exagérées.
« Si le gouvernement français exprimait davantage d’intérêt pour le Québec, les Québécois l’apprécieraient beaucoup. »