20 Minutes (Strasbourg)

#MeToo L’histoire qui glace le stand-up

- Une enquête de Laure Beaudonnet et Lina Fourneau

Cest l’histoire d’un humoriste qui teste une blague. Pas très drôle. D’ailleurs, il ne la tentera qu’une fois. Une histoire de meuf, comme souvent à cette époque dans le stand-up parisien. On est à la fin de l’été 2015. Ils sont trois : lui, un pote et une fille. Ils se l’échangent pendant la nuit. Elle ne s’en rend pas compte. « Parce que deux Noirs se ressemblen­t », non ? Malaise dans une partie de la salle et surtout en coulisses. La fille existe. Elle s’appelle Élise Vigné, comédienne, et travaille au Paname Art Café en tant que régisseuse. Si elle n’assiste pas au sketch en direct, son confident Akim Omiri, avec qui elle a évoqué cette soirée, fait le lien. Il lui raconte rapidement. « C’est comme si mon corps avait compris ce qui s’était passé, je lui ai vomi dessus », se souvient la jeune femme qui a porté plainte en mars 2023 pour viol. En janvier dernier, une informatio­n judiciaire a été ouverte. Djimo et l’auteur du sketch Lenny M’Bunga, deux humoristes de la bande du Paname, ont été placés sous le statut de témoin assisté ; le premier pour viol commis en réunion, le second pour complicité de viol commis en réunion, a détaillé le parquet de Bobigny, confirmant une informatio­n de  .Les trois protagonis­tes ont l’habitude de se retrouver au Paname Art Café, dans le XIe arrondisse­ment, un des plus puissants comedy club de la capitale à l’époque. Il accueille, depuis 2008, les plus grands noms du stand-up qui viennent rôder leurs sketchs dans la petite cave située au sous-sol.

« Vas-y, bouge, je n’ai pas envie »

Ce soir-là d’été 2015, la bande d’amis n’a pas envie de rentrer après la fermeture. Il est tard, et Élise, la seule à être véhiculée, propose à Djimo et Lenny M’Bunga de les accueillir chez elle, jusqu’à la reprise des métros. La nuit est déjà mûre, la soirée continue. « On danse, on rigole » et quelques échanges de regard ont lieu entre Élise et Djimo. La soirée se termine, Djimo part dans une chambre, Élise dans une autre suivie de Lenny M’Bunga. “Ça s’est décidé assez naturellem­ent”. Ensemble, ils ont un rapport sexuel consenti.

Lenny quitte alors la chambre et laisse Elise seule. La pièce est plongée dans l’obscurité, volets et rideaux fermés. « Je commence à m’endormir sur le ventre, se souvient-elle. Je n’étais pas forcément à l’aise avec ce que je venais de faire, donc je préférais dormir. Il revient dans la chambre et se remet sur moi. Il est insistant, je lui dis : « Vas-y, bouge, je n’ai pas envie ». Il me pénètre. Je lui dis : « Lenny, bouge. Là, je commence à m’énerver et je le pousse ». Très vite, l’homme s’enfuit, elle se lève, « hyper mal à l’aise ». « Quand je sors de la chambre, je trouve Lenny et Djimo tous les deux en train de rigoler. Je ne comprends pas pourquoi ils sont tous les deux. Je me suis interrogée pendant plusieurs jours ». Le lendemain, troublée par cette soirée, elle se confie à son ami Akim Omiri.

Quelques jours après, ce dernier entend la blague de Lenny M’Bunga depuis les coulisses du Paname. « Je connais son style d’écriture à cette période. Il débute son anecdote par ‘‘le week-end dernier’’, c’est pour ça que j’y prête attention. Tout collait. » Sidéré par la séquence, il ne se souvient plus des autres stand-uppers en coulisses. Il s’avère difficile de trouver d’autres témoins de la blague. En 2015, les humoristes ne sont pas filmés, contrairem­ent à aujourd’hui. Néanmoins, tout le milieu du stand-up parisien semble au courant de cette histoire. Un humoriste du Paname, arrivé bien plus tard dans le comedy club, raconte avoir entendu des blagues en loge autour « des meufs avec qui les stand-uppers peuvent coucher ». Mort de rire, un membre de l’équipe aurait raconté que « deux [humoristes] ont niqué le game là-dessus » en faisant l’amour avec la même régisseuse. Dans la même loge, « six ou sept autres humoristes », dont Lenny M’Bunga, selon cette source, qui rigole et acquiesce. L’avocat de l’humoriste, Me Romain Dieudonné, défend un simple sketch improvisé et juge déraisonna­ble l’idée d’admettre « une infraction pénale » sur une scène de spectacle. Les avocats de Djimo, Me Gabriel Dumenil et Marc Bailly déplorent quant à eux « une cabale médiatique et sur les réseaux sociaux » à l’encontre de leur client, « présumé innocent ». Selon eux, l’humoriste « a été auditionné à plusieurs reprises pour des faits remontant à près de dix ans et qu’il conteste très fermement ».

Deux humoristes en vue, Djimo et Lenny M’Bunga, sont visés par la plainte pour viol d’une régisseuse du Paname Art Café. Récit

« Je connais son style d’écriture à cette période. Il débute son anecdote par ‘‘le week-end dernier’’, c’est pour ça que j’y prête attention. Tout collait. » Akim Omiri, ami de la plaignante

Les avocats de Djimo déplorent une « cabale médiatique et sur les réseaux sociaux ».

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L’humoriste Djimo sur la scène du Paname Art Café, en février 2022. J. Picaud / Sipa
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