La relève de l’« armée des clones » Changement d’époque
Les podiums accueillent de plus en plus de mannequins hors normes, loin des stéréotypes
F ini les apollons dorés sur tranche et les sylphides éthérées ? Tandis que Winnie Harlow, atteinte de vitiligo, est le visage de Diesel et Desigual, Madeline Stuart est devenue le premier mannequin trisomique pro, Rebekah Marine, née sans avant-bras droit, défile avec son bras bionique, et Shaun Ross, atteint d’albinisme, envahit les unes. La mode, traditionnellement obsédée par les nymphettes et les éphèbes musculeux, semble s’enticher de plus en plus des tatoués, des vieux, des rasés, des handicapés et des déjantés. « Le grand beau musclé, c’est so 1990’s ! », lance Sylvie Fabregon, agent chez Wanted, une agence de mannequins spécialisée dans les « profils atypiques et hors normes, avec une beauté différente, qui dégagent une personnalité, qui marquent les esprits ». Et la fashion sphere de succomber aux sourcils épais de Cara Delevingne, à la bouche en coeur de Lindsey Wixson (l’un des mannequins les mieux payés en 2014, selon Forbes), ou aux dents du bonheur de Kelly Mittendorf. Et Karl Lagerfeld de déclarer sa flamme à la « strange face » de Molly Bair, « une sorte d’E.T. de la beauté. » La conception traditionnelle de la beauté n’est plus d’actualité. « Le mannequin exprime les valeurs esthétiques propres à la mode d’une époque », explique Alessandra Fanari, journaliste et historienne de la mode. Jusqu’aux années 1950, les mannequins représentent « l’idéal dominant basé sur des critères classiques et occidentaux ». Dans les années 1960 et 1970, la très fine Twiggy, la très grande Veruschka et les premières covergirls black commencent timidement à remettre en cause le modèle. Au début des années 1980, Jean Paul Gaultier publie cette annonce dans le journal Libération : « Créateur non conforme cherche mannequins atypiques, gueules cassées ne pas s’abstenir. » « La référence absolue ! Le précurseur de la variété ethnique, générationnelle et qui a introduit les mannequins avec des particularités comme les piercings et tatouages », se souvient Lionel Dejean, président de l’agence City Models. Des exceptions au milieu d’« une armée de clones, blondes aux yeux bleus, à la beauté très classique, au point qu’on finissait par ne plus les différencier ». « Les gens en ont eu marre de voir des gens qui se ressemblent », confirme Sylvie Fabregon. Depuis quelques années, « les personnalités plus fortes » se font remarquer sur les podiums.
« Le grand beau musclé, c’est so 1990’s ! »
Sylvie Fabregon, agent chez Wanted