20 Minutes (Toulouse)

Ma vie d’assigné

Ahmed est l’une des 382 personnes qui pointent deux fois par jour au commissari­at depuis les attentats du 13 novembre. Il raconte son quotidien alors que l’état d’urgence va être prolongé.

- Vincent Vantighem et Léonard Jeudy

Les vieilles plaques électrique­s tranchent dans le décor épuré de la cuisine suréquipée. « Un copain me les a ramenées parce qu’ils m’ont coupé le gaz, souffle Ahmed. Je ne pouvais plus payer les factures. » Ce trentenair­e de Montrouge (Hautsde-Seine) ne travaille plus depuis qu’il a été assigné à résidence dans le cadre de l’état d’urgence. C’était le 19 novembre 2015. « Les flics ont défoncé ma porte et m’ont remis ce papier », lâche-t-il en pointant du doigt le document officiel du ministère de l’Intérieur. « L’intéressé est un islamiste radical pro-djihadiste vantant constammen­t les mérites du djihad armé, stipule l’arrêté. Il professe une grande admiration pour l’organisati­on Daesh... » Bonnet vissé sur le crâne, Ahmed ne peut s’empêcher de rire en lisant l’extrait. De rire jaune. Le jeune homme qui devait signer, début février, un CDI comme gardien d’immeuble, sait très bien que ses problèmes ne font que commencer. Ce mercredi, le conseil des ministres doit présenter un projet de loi visant à prolonger l’état d’urgence de trois mois (lire ci-dessous). Et donc d’autant l’assignatio­n à résidence d’Ahmed et des 381 autres personnes visées par cette mesure. Au programme : interdicti­on de sortir de chez soi si ce n’est pour pointer, deux fois par jour, au commissari­at.

L’objet d’une note blanche

« Pour moi, c’est de la débilité à l’état pur ! », lâche Ahmed. Musulman pratiquant, il pense qu’il doit son sort aux propos qu’il a tenus sur Facebook après les attentats. « Je parlais de l’acharnemen­t contre les musulmans et je me moquais de Tariq Ramadan, mais je ne cautionne pas du tout les attentats, s’emporte-t-il. Je n’ai aucune envie d’aller en Syrie. » Son recours devant le tribunal administra­tif a été rejeté. « Il a été assigné à résidence sur la base d’une note blanche des renseignem­ents, précise Marie Dosé, son avocate. Pour protéger les sources, ces informatio­ns sont invérifiab­les. » En réponse, Ahmed compile donc, en ce moment, les lettres d’amis témoignant qu’il n’est pas un « dangereux djihadiste ». Il les présentera, courant février, au tribunal administra­tif en espérant que sa mesure soit cette fois levée. « Je n’ai plus d’argent, reprend-il. Mon compte en banque va être fermé et j’ai déjà un mois et demi de loyer de retard... Je vais finir par me faire expulser. » Et de se rendre compte de l’absurdité de la situation : « Qu’est-ce qui se passe si je suis assigné à résidence, mais que je n’ai plus de résidence ? »

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Ahmed, le 2 février, à son domicile de Montrouge.
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Il est reproché à Ahmed de professer « une grande admiration pour Daesh ».

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