Dans les coulisses de l’attribution du Nobel de la paix
Le mode d’attribution du Nobel reste obscur
Kamel Mohanna se lève de table sans un regard pour les mezze. Il s’éclaircit la gorge et résume sa pensée. « Si nous sommes désignés, alors, nous aurons l’argent pour scolariser les 400 000 enfants réfugiés syriens qui se trouvent au Liban… » La scène se déroule, il y a une dizaine de jours, dans un restaurant de la Corniche de Beyrouth. Face à quelques journalistes et responsables associatifs, ce médecin libanais, responsable de l’ONG Amel, fait campagne… pour le prix Nobel de la paix, décerné ce vendredi, à Oslo (Norvège). « A priori, on est plutôt bien placés, lâche une de ses conseillères. Même si tout cela est très opaque… » Obscur, même…
Seuls les ministres, les anciens lauréats... peuvent proposer un nom.
Inconnus du grand public, les cinq jurés norvégiens du comité Nobel départagent cette année 376 prétendants (228 individus et 148 organisations). Rien n’a filtré sur leur réflexion, ce qui n’a pas empêché les médias de se perdre en conjectures. Selon ParisMatch, cela pourrait être Laurent Fabius, pour avoir conclu l’accord sur le climat lors de la COP21. USA Today mise plutôt sur la Russe Svetlana Gannushkina, figure de proue du mouvement de défense des droits humains en Russie. A moins que ce ne soient les Casques blancs qui secourent chaque jour les civils syriens… Aucun de ces prétendants n’a postulé luimême. Seuls les ministres, parlementaires, professeurs d’université, de sciences politiques ou d’anciens lauréats peuvent proposer un nom. « C’est Georges Corm [ancien ministre des Finances libanais] qui s’en est chargé après avoir visité l’un de nos centres de soins, indique Virginie Lefèvre, coordinatrice de l’ONG Amel. Il a envoyé une simple lettre de deux pages. » Un poème, un dessin, une thèse? Rien n’est indiqué sur le site du prix, si ce n’est l’adresse postale où envoyer la missive. Ensuite, il ne reste plus qu’à attendre. Enfin presque… « Nous avons pris contact avec l’un des lauréats de l’an dernier, reconnaît Kamel Mohanna. Il nous conseille pour effectuer un peu de lobbying. » A cette évocation, Antoine Jacob se montre sceptique. « Officiellement, il n’y a pas de lobbying pour le Nobel de la paix, confie l’auteur de Histoire du prix Nobel (Ed. F. Bourin, 2 012). Mais l’ancien président du Comité a raconté, dans un livre récent, comment il avait été ‘‘approché’’ diplomatiquement… ». Impossible de savoir tant les jurés norvégiens ont pris l’habitude de brouiller les pistes… Ce vendredi, leur choix sera connu à 11 h. Le lauréat devrait, lui, être prévenu une demiheure avant. Avec, à la clé, une jolie médaille et un prix de 835000 €. De quoi scolariser tous les enfants syriens du Liban.