Intersexué, il poursuit les médecins qui l’ont opéré pour faire de lui un homme
Camille* attaque les médecins qui l’ont opéré pour faire de lui un homme, une première
P our le chirurgien, cela n’était qu’un « simple problème de tuyauterie ». Pour Camille*, le début des souffrances. Selon nos informations, la justice instruit depuis plus d’un an la plainte de cette personne intersexuée pour « violences volontaires sur mineur ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ». Une première en France qui pourrait conduire à un procès d’assises. Né en 1979 avec des caractères sexuels féminins et masculins à la fois, Camille reproche à quatre médecins et deux hôpitaux de lui avoir fait subir, durant l’enfance, sept interventions chirurgicales afin de le faire « devenir » un homme. Sans le consentement éclairé de ses parents. « Mon intersexuation ne me mettait pas en danger de mort. Mais ça, on ne l’a jamais expliqué à mes parents, déplore Camille. Pour les médecins, il fallait forcément me faire entrer dans une case. »
Ils ont donc opté pour l’identité masculine. Celle dont Camille était le plus proche. Pectoraux gonflés et barbe de quelques jours soigneusement entretenue, cet infirmier de 38 ans l’assume désormais pleinement. Mais il souffre toujours des conséquences de ces opérations. « J’en viens à calculer tout ce que je bois parce qu’à chaque fois que je dois aller aux toilettes, j’ai l’impression de pisser des lames de rasoir, avoue-t-il. Le sexe, c’est pareil. Je prends du plaisir tout en ayant extrêmement mal ! »
Pourrait-il seulement en prendre si les médecins ne l’avaient pas opéré ? « Impossible de savoir ce que ma vie serait devenue sans les interventions, rétorque-t-il. Le plus violent, c’est qu’ils ont pris la décision. Mais c’est à moi d’en payer le prix. » Il a ainsi dû assumer, dès la classe de CE1, les premiers signes d’une puberté rendue précoce par le traitement hormonal. Il a dû répondre, à 12 ans, à un médecin qui lui demandait, devant ses parents, s’il « band[ait] enfin droit ». Et surtout personne ne peut lui dire, encore aujourd’hui, s’il risque de transmettre le « mal » dont il souffre aux enfants qu’il désire. Car la douleur de Camille est indéniable. Tout comme la dimension militante de sa démarche. « J’ai attendu d’avoir 36 ans pour comprendre que j’avais été mutilé, assure-t-il. Je veux épargner ça aux autres. Il est temps d’arrêter d’opérer les enfants intersexués. Il est temps de dire aux médecins qu’ils sont hors-la-loi ! »
C’est à la justice d’en décider dorénavant. Déposée à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) en 2016, sa plainte a entraîné l’ouverture d’une information judiciaire. Selon nos informations, la juge chargée du dossier devrait ordonner prochainement « une expertise médicale pointue » de la situation de Camille. « L’idée est ensuite d’entendre tous les personnels médicaux, de saisir les dossiers et d’organiser des confrontations, confie le parquet de ClermontFerrand. C’est un dossier très complexe. S’il aboutit à un non-lieu, celui-ci sera sans doute contesté jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. Sinon, cela se terminera par le renvoi de plusieurs praticiens devant une cour d’assises... » Camille n’attend rien d’autre. Après avoir pleuré lors de son audition dans le bureau de la juge, il a fini par assurer être « suffisamment serein » dans sa vie actuelle pour « aller au bout des démarches. »
* Le prénom a été changé.
« A chaque fois, j’ai l’impression de pisser des lames de rasoir... » Camille, le plaignant