L’exploration urbaine victime de son succès
Le succès des vidéos d’exploration urbaine pourrait nuire à cette discipline clandestine
« Ils cherchent des vues et ne voient pas les dangers. La mode tourne mal. » Raphaël Lopez, Urbex Session
Des lieux abandonnés, désaffectés, à portée de clic. Depuis quelques mois, de plus en plus de youtubeurs s’adonnent à l’exploration urbaine dans des vidéos estampillées « urbex ». L’exploration urbaine, passe-temps longtemps réservé à quelques initiés, comptabilise désormais des millions de vues sur la plateforme, attirant son lot de dérives. L’explosion du phénomène sur YouTube pourrait mettre en péril une discipline confidentielle, clandestine et régie par des règles très strictes.
Lieux désaffectés
« L’urbex consiste à s’immiscer et à explorer des lieux souvent interdits ou difficiles d’accès, abandonnés ou désaffectés comme des hôtels, des hôpitaux ou des usines, détaille Raphaël Lopez, fondateur du site Urbex Session. Avec la crise, ces lieux sont de plus en plus nombreux. » La pratique a pour ainsi dire toujours existé, mais l’exploration urbaine émerge dans les années 1980 et doit son nom à la traduction d’« urban exploration », abrégée en « urbex ». « Je suis avant tout une promeneuse, j’aime observer ce qu’il y a autour de moi », raconte l’urbexeuse et youtubeuse Zeib. « Je choisis mes lieux selon deux critères, l’exclusivité et le côté impressionnant du lieu, explique l’urbexeur et youtubeur Anil B. Plus ils sont grands, plus ils sont impressionnants. »
Vidéos sensationnelles
Le phénomène prend de l’ampleur avec le développement d’Internet et des réseaux sociaux, où urbexeurs postent photos et vidéos de leurs explorations. L’intérêt pour les vidéos d’urbex sur YouTube explose courant 2016. Les productions des stars du genre, comme Le Grand JD, McSkyz ou Mamytwink, affichent des millions de vues. Le hic ? « Ces vidéos donnent envie aux gens d’y aller, cela peut être dangereux si les gens ne prennent pas leurs précautions », estime Anil B. Les youtubeurs sérieux prennent des précautions. « Au début, je me filmais lorsque j’escaladais, je ne le fais plus. Il faut réfléchir à ce qu’il est bon de montrer et ce qu’il ne faut pas montrer », analyse Zeib. Surfant sur la popularité grandissante de ces vidéos sur YouTube, « des “putaclics” se servent du mot “urbex” pour faire des vidéos sensationnelles “qui tournent mal” et déforment l’image de l’activité », déplore Zeib. « Les vidéos publiées sur YouTube sont moins “quali”, et certaines vont trop loin », ajoute Anil B. Ces vidéos sont intitulées « La plus grande peur de ma vie (Urbex qui tourne mal) » ou « On croise un cadavre !!! Urbex ! » Ces vidéos qui montrent des dégradations de propriétés privées et du vandalisme sont en complète contradiction avec le règlement de la communauté de YouTube. « Nous comptons sur les membres de la communauté pour signaler les contenus qui leur paraissent inappropriés », a réagi Charles Savreux, responsable de la communication Google et YouTube. Une fois examinées, les équipes de YouTube prendront « la décision qui s’impose ». « Ces vidéos cherchent le spectacle, le sensationnalisme. Ce n’est pas de l’urbex, c’est une autre pratique », alerte Raphaël Lopez, auteur d’un billet « L’urbex : une mode de merde » qui condamne ces dérives. « Dans une vidéo, on voit un youtubeur casser une vitre pour entrer. Ils filment les panneaux de signalisation et ne préservent pas l’anonymat du lieu. Ils cherchent des vues et ne voient pas les dangers, c’est une mode qui tourne mal », considère Raphaël Lopez. En explorant les bas-fonds avec ces vidéos sensationnalistes, les « putaclics » risquent hélas de nuire à la noble exploration urbaine.