D’après une (longue) histoire vraie
Pour des chercheuses, le mouvement est l’aboutissement d’un long chemin
Cataclysme, tremblement de terre, raz- de- marée… Le mouvement #MeToo, consécutif à l’affaire Weinstein, a souvent été décrit à l’aide de métaphores de catastrophe naturelle, comme pour dépeindre un événement spontané et imprévisible. Plusieurs chercheuses, spécialistes de l’histoire des femmes et du féminisme, estiment au contraire que # MeToo est l’aboutissement d’un long chemin.
Parmi elles, Sylvie Steinberg, qui a dirigé l’ouvrage Une histoire des sexualités (éd. PUF) : « Le féminisme est présenté comme un mouvement récent. Ce manque de mémoire est un problème. Nous ne sommes pas dans l’année zéro de la réflexion sur le harcèlement. » Pour Bibia Pavard, historienne spécialisée en histoire des femmes et du genre, « #MeToo s’intègre au sein de la longue histoire de la lutte féministe contre les violences, notamment sexuelles. » Mais elle constate également que le mouvement s’inscrit « dans le renouveau du féminisme actuel. Depuis un peu moins de dix ans a été créé le féminisme de hashtag qui vise à donner la parole à des femmes ordinaires. Et celles-ci racontent leurs expériences des processus de domination. # MeToo a émergé dans ce contexte, et cela explique son ampleur. » Pour Sylvie Steinberg, « # MeToo s’inscrit dans une continuité de la prise en considération du point de vue des femmes dans la société depuis plus de quarante ans, et une prise en compte des violences faites aux femmes. » L’historienne reconnaît cependant que « ce qui a été spectaculaire et nouveau avec #MeToo, c’est la rapidité, les moyens médiatiques utilisés et le caractère mondial de la mobilisation. » Replacer #MeToo dans l’histoire des femmes et du féminisme permet aux historiennes de comprendre le contrecoup auquel on peut s’attendre après un moment de mobilisation. Sylvie Steinberg en cite au moins deux : « Après la Révolution française, qui a vu l’émergence de figures politiques féminines, la rédaction du Code civil a été très défavorable aux femmes. Et les années 1930, avec le fascisme, le nazisme et les régimes autoritaires, ont marqué un retour en arrière par rapport au début du XXe siècle, qui avait vu l’émergence de la psychanalyse et du féminisme. »
Bibia Pavard a quant à elle constaté que le contrecoup est « toujours concomitant aux mouvements féministes. Dès le début de #MeToo, des forces d’opposition se sont exprimées. Le mouvement a ainsi été assimilé à de la délation par des personnes qui voulaient le discréditer. On a aussi beaucoup entendu les craintes que #MeToo mette fin à une certaine “tranquillité” des rapports de séduction. Les mouvements féministes sont souvent décrits comme un danger pour les fondements de la société par les partisans d’une vision traditionnelle des rôles de genre. » Par rapport à de précédents mouvements féministes, la nature particulière de # MeToo a provoqué de massifs cyberharcèlements. « A chaque fois qu’une femme s’exprime en ligne, elle s’expose à une avalanche d’insultes et de menaces par des personnes qui utilisent pour cela la notoriété du hashtag # MeToo, constate Bibia Pavard. Ce n’est pas encore très étudié, mais c’est un enjeu majeur. » Sylvie Steinberg, elle, préfère « s’interdire de lire les commentaires. La libération de la parole, c’est aussi la libération de la connerie. »
« Ce manque de mémoire est un problème. » Sylvie Steinberg, auteure d’Une histoire des sexualités
« Les mouvements féministes sont souvent décrits comme un danger. » Bibia Pavard, historienne