L’empereur du peuple
En trente ans de règne, Akihito, qui abdiquera mardi, a bouleversé les usages très codifiés de sa fonction.
Une ère s’achève, littéralement.
Mercredi, Akihito laissera le trône à son fils Naruhito, devenant ainsi le premier empereur japonais à abdiquer en plus de deux siècles. Une volonté annoncée dès 2016 et motivée par la crainte du souverain (aujourd’hui âgé de 85 ans) de voir sa santé déclinante avoir un impact sur ses fonctions et sur la société nipponne. La preuve, à nouveau, que Akihito a toujours cherché à réinventer son rôle. Le renouveau a d’ailleurs commencé bien avant son accession au trône. En 1959, Akihito, alors prince héritier, surprend le pays en épousant une roturière, Michiko Shoda, la fille d’un riche industriel rencontrée sur un court de tennis. En rupture avec l’usage, Akihito et Michiko élèvent eux-mêmes leurs enfants et la princesse prend la décision, alors inouïe, d’allaiter son fils, le futur empereur Naruhito, puis de se lever aux aurores pour préparer le bento (panier-repas) qu’il emmènera à l’école. « Les jeunes générations leur ont réservé un accueil chaleureux, voyant dans ce couple considéré comme modèle une existence plus proche de leur propre vie », analyse Hideya Kawanishi, maître de conférences en histoire à l’université de Nagoya.
« Etre plus humain »
En 1989, à la mort de son père, Hirohito, Akihito devient le 125e empereur du Japon, dans des circonstances bien différentes de celles qu’a connues son père lorsqu’il est monté sur le trône, soixante-deux ans plus tôt. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’empereur a perdu tous ses pouvoirs. La nouvelle Constitution, rédigée en 1947 sous l’occupation américaine, le définit comme « le symbole de l’Etat et de l’unité du peuple ». Un rôle qu’Akihito a passé les trente ans de son règne à explorer et à développer. « Alors que son père était une quasi-divinité quand il a accédé au trône, Akihito s’est, lui, adressé aux minorités, aux oubliés de la société : les personnes handicapées, les seniors ou les victimes, explique Makoto Inoue, journaliste spécialiste de la famille impériale. A l’occasion de son 50e anniversaire de mariage, Akihito a estimé que le rôle d’empereur après-guerre était davantage conforme à la tradition, exprimant son aspiration à être plus humain. » Mais cette façon de penser ne plaît pas à tous : « Les conservateurs souhaiteraient qu’il ait une position “divine”, mais il les a ignorés, pouvant ainsi être qualifié de “révolutionnaire” », estime Makoto Inoue. Alors que la Constitution interdit à l’empereur de se mêler de politique, Akihito a, par exemple, exprimé à plusieurs reprises ses remords au sujet de la guerre et de la politique expansionniste du Japon dans la première moitié du XXe siècle, rejetant le nationalisme. Son fils, Naruhito, qui régnera à partir de mercredi pendant l’ère Reiwa, a déjà laissé entendre qu’il inscrirait son règne dans le sillage paternel.