Un procès hors norme
Des milliers de victimes constituées parties civiles, quatre cents avocats, une centaine de témoins... Ce lundi s’ouvrent les audiences de ce scandale sanitaire.
Depuis qu’elle a révélé le scandale du Mediator, en 2010, la pneumologue brestoise Irène Frachon a vu sa vie s’accélérer brusquement. Alors, quand on lui demande dans quel état d’esprit elle se trouve alors que s’ouvre, ce lundi et pour six mois, le procès des laboratoires Servier devant le tribunal correctionnel de Paris, les sentiments se mêlent à toute vitesse : « Je suis émue et heureuse. Et puis concentrée aussi. En fait, je suis surtout soulagée pour les victimes. » Des victimes qui ont pris « une peine de perpétuité dans cette affaire », rappelle-t-elle (lire ci-dessous).
Ce lundi, ce sont les représentants des laboratoires Servier et de l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) qui prendront place sur le banc des prévenus pour répondre des faits de tromperie aggravée, d’homicides et de blessures involontaires. Une centaine de témoins, presque quatre fois plus d’avocats et déjà 2 684 victimes constituées parties civiles (elles pourraient être 5000 ce lundi)... c’est un procès hors norme qui va s’ouvrir dix ans après le retrait du marché du Mediator.
Deux mille décès à craindre
Présenté comme un antidiabétique, ce médicament a, en réalité, été largement prescrit comme coupe-faim pendant les trente-trois années de sa commercialisation. Mais ce n’est qu’en 2009 qu’on a su qu’il était sans doute à l’origine de graves lésions cardiaques. A terme, il pourrait entraîner 1 300 à 2 100 décès parmi les 5 millions de personnes qui en consommaient, selon différentes expertises.
«Le défi est de faire que ce ne soit pas un débat d’experts, estime Me Charles Joseph-oudin, qui va représenter 250 victimes à l’audience. C’est un désastre humain : il faut que le tribunal entende les malades parler de ce que c’est que de vivre après le Mediator.» Ce ne sera pas simple. Souvent âgés et habitant loin de Paris, les malades du Mediator seront finalement sans doute peu nombreux à faire le déplacement jusqu’au tribunal. Quant aux laboratoires Servier, ils s’apprêtent à contester chaque accusation. «Il va y avoir un vrai enjeu de pédagogie, admet François de Castro, l’un des avocats du groupe pharmaceutique. Mais, oui, nous allons expliquer qu’il n’y a eu aucune dissimulation des effets secondaires du médicament. » Pour les laboratoires, qui emploient 22000 personnes, l’enjeu est aussi financier. Chacune des victimes pourrait réclamer des dommages et intérêts aux laboratoires Servier. En dix ans, le groupe a déjà dû verser 131,8 millions d’euros à près de 4000 patients. Il a aussi versé une caution de 90 millions d’euros à la justice. Mais il estime, selon une source interne qui s’est confiée à 20 Minutes, que le risque total pourrait se chiffrer à un milliard d’euros. Ce ne sera pas la facture finale. Les juges continuent à examiner les plaintes d’autres patients dont la prise du Mediator aurait pu causer des blessures ou des décès.