Un regard différent sur la question des migrations
Grand Prix du jury à Cannes, ce film est bien plus qu’une histoire d’amour contrariée et de migration
Parler des migrants non pas comme des êtres à la dérive, mais comme des jeunes gens qui, souvent du jour au lendemain et sans prévenir personne, prennent la mer dans l’espoir d’un avenir qui ne peut être que meilleur… Tel est le point de départ d’atlantique, qui fut un court métrage avant d’en devenir un long, le premier film de Mati Diop, Franco-sénégalaise qui fut actrice et plasticienne avant d’être réalisatrice. Mais Atlantique n’est pas qu’une histoire de migration, un drame social, politique et humain. C’est d’abord une histoire d’amour contrariée, qui se mâtine de polar avant de devenir une fable fantastique. C’est une perle délicate et rare qui traite son sujet en cherchant à l’ouvrir à toutes les possibilités qu’offre le cinéma de genre, en lui apportant une dimension mythologique et universelle.
Amoureux emblématiques
Atlantique est le premier film d’une femme africaine récompensé par le Grand Prix du jury, soit la deuxième récompense par ordre d’importance. C’est dire le caractère essentiel de cette oeuvre. Mais un sujet d’actualité brûlant ne suffit évidemment pas à faire un bon film. Si le Francomalien Ladj Ly propose avec Les Misérables un film coup-de-poing sur les tensions dans les quartiers d’ile-de-france, Mati Diop a éprouvé au contraire «le besoin de retourner à ses origines africaines pour proposer, de làbas, un regard différent de celui que les médias portent sur les migrations». Et raconter les espoirs que de telles traversées suscitent chez ces jeunes, très nombreux, qui fuient le chômage avec la perspective d’un autre futur. Tel Shakespeare dans Roméo et Juliette, Mati Diop s’est choisi un couple d’amoureux emblématique : Ada, jeune fille promise à un garçon issu d’une famille aisée, et Souleiman qui, de dépit, va tenter de traverser un océan qu’il ne voit pas comme un obstacle, mais comme «une force surnaturelle complice de son départ en mer ». S’ensuivent des événements inexpliqués : incendies sans départ de feu, enquête policière, histoire de vengeance et esprits des naufragés qui reviennent en prenant possession du corps des vivants… Mati Diop reconnaît l’influence de cinéastes comme le Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul. Comme lui, elle croit aux histoires de fantômes. Celle-ci en est une, qu’elle raconte avec grâce et talent.