Vices de pub
Deux ans après l’émergence de #Metoo, les agences de publicité tardent à évoluer. Mccann Paris est même touchée par une affaire de harcèlement.
C’est une pub dont elles se seraient bien passées. Tardivement, le mouvement #Metoo au sein des agences de publicité a éclaté en France en mars après la publication d’une enquête dans Le Monde. Soit un an et demi après l’émergence du mouvement de libération de la parole des femmes. Une mobilisation autour du mot-clé #Metoopub qui a permis à Audrey Petit de «prendre conscience du côté systémique du sexisme dans ce secteur». Dix ans après ses débuts dans le milieu, elle égrène ce qu’elle appelle ses «anecdotes». Comme de nombreuses victimes, elle les a longtemps tues. Il y a ce grand patron qui mime un acte sexuel derrière elle pendant qu’elle prépare sa présentation de travail; ou cet autre PDG, qui ira jusqu’à dégrafer son soutien-gorge dans un ascenseur alors qu’elle l’accompagne pour un appel d’offres. « On n’avait pas suffisamment mesuré la dangerosité de ces agissements et le caractère insupportable de certaines situations», reconnaît aujourd’hui Gildas Bonnel, président de Sidièse et de la commission RSE à l’association des agences-conseils en communication (AACC).
Bataille générationnelle
Des situations que Christelle Delarue, qui se bat pour promouvoir la place des femmes et défendre leurs droits dans la pub, n’hésite plus à dénoncer via l’association Les Lionnes. Non sans difficultés : «Quand je rencontre les directions, souvent, la première chose qu’on me répond, c’est : “Il n’y a pas de sujet chez nous.” Ça me sidère. Il faut dépasser la question du logo, de l’image de marque de telle ou telle agence. Quand on parle de violences faites aux femmes ou de harcèlement moral, on parle de tout un système, il faut donc une réponse collective.» Chez Havas ou Publicis, mastodontes du secteur, les actions internes jusqu’alors mal connues des salariés sont depuis largement diffusées, et les formations obligatoires se sont multipliées. «Il n’y a plus aucune tolérance, assure à 20 Minutes Céline Merle-béral, DRH du groupe Havas. Le doute, désormais, bénéficie systématiquement à la victime, et tout ce qui est en lien avec le poids du business n’entre plus en jeu.» Mais dans les couloirs des agences, c’est une véritable bataille, générationnelle et culturelle, qui se joue encore.
«Je me retrouve encore à devoir convaincre de la nécessité de nos initiatives, peste Laurence Beldowski, directrice générale de l’organisation professionnelle COM-ENT, à l’origine de la mise en place d’une ligne d’écoute*. Certains hommes, âgés de 40 à 60 ans, me disent : “Il va falloir réapprendre à raisonner.”» Une génération à laquelle appartient Gildas Bonnel : «Nous avons eu une grande timidité à reconnaître que nous avons accepté, par le passé, des comportements qui ne sont plus acceptés par le reste de la société. Ce fossé culturel et générationnel existe, et il y a des évolutions. Il faut en prendre la juste mesure.»
Audrey Petit, elle, pose désormais un regard optimiste sur le virage opéré par sa profession : «Les mentalités changent grâce à l’arrivée à des postes de management de femmes et d’hommes plus jeunes. Clairement, j’ai hâte qu’une génération de professionnels parte à la retraite.»
* Joignable au 0 800 100 334.