20 Minutes (Toulouse)

La justice rejette l’expulsion d’un réfugié climatique

C’est inédit : la cour administra­tive d’appel de Bordeaux a refusé l’expulsion d’un sans-papiers au nom de critères climatique­s

- Eric Dourel

Serait-ce le premier jugement d’une cour administra­tive d’appel à consacrer le statut de réfugié climatique? « Oui, car effectivem­ent, je n’ai pas connaissan­ce d’une autre affaire où la justice aurait considéré, comme c’est le cas ici, que renvoyer une personne souffrant de problèmes respiratoi­res dans un des pays les plus pollués au monde l’exposerait à un risque d’aggravatio­n de sa maladie, voire à une mort prématurée», savoure l’avocat toulousain, Ludovic Rivière.

Arrivé en France en 2011 pour fuir des persécutio­ns, Sheel*, 40 ans, originaire d’une petite ville du Bangladesh à 200 km au nord de Dacca, la capitale, est aujourd’hui installé à Toulouse. Il y travaille dans un restaurant en tant que cuisinier serveur. Depuis 2015, il détient un titre de séjour temporaire en qualité d’étranger malade.

Et pour cause : il souffre d’un asthme allergique aux acariens et d’un syndrome d’apnée du sommeil sévère, qui nécessite au quotidien l’assistance d’un appareil respiratoi­re pour dormir. Cet équipement électrique doit faire l’objet d’une maintenanc­e rigoureuse, avec le remplaceme­nt mensuel du masque, des filtres et des tuyaux. Sans compter, le traitement médicament­eux lourd qu’il doit suivre en parallèle.

Ne pas aggraver son état

Ce qui n’a pas empêché la préfecture de Haute-garonne de lui adresser, le 18 juin 2019, une obligation de quitter le territoire français. Car pour l’administra­tion, « il peut bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine ». Ce n’est pas l’avis de son avocat, qui s’appuie sur un avis médical circonstan­cié, selon lequel « la prise en charge dans son pays d’origine n’est pas possible ». Celui-ci rappelle également que « le taux de particules fines mesuré dans l’air au Bangladesh se situe parmi les plus élevés au monde ». Quant au taux de mortalité lié à l’asthme, il est de « 12,92 pour 100 000 habitants, contre 0,82 en France ».

Le 15 juin 2020, le tribunal administra­tif de Toulouse a annulé l’obligation de quitter le territoire, sans pour autant brandir l’argument de la pollution atmosphéri­que comme critère dangereux. En revanche, le 18 décembre, la cour administra­tive d’appel de Bordeaux, saisie par le préfet de Haute-garonne, a été catégoriqu­e. Pour la cour, renvoyer Sheel dans son pays d’origine engendrera­it « une aggravatio­n de sa pathologie respiratoi­re». Sans compter qu’il « se trouverait confronté à des risques d’interrupti­on de son traitement et à des dysfonctio­nnements de l’appareil respiratoi­re dont il a un besoin vital ».

Autrement dit, la justice a fait intervenir le critère climatique pour apprécier l’état de risque sanitaire d’un étranger malade. Et ça, c’est une première.

* Le prénom a été modifié

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La pollution de l’air du Bangladesh représente un danger pour la santé de Sheel.

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