Les applis ont du retard
Si elles répondent à un réel besoin d’informations, les applications consacrées au cycle menstruel sont loin de lever tous les tabous.
La Silicon Valley est un peu comme le miroir grossissant des imperfections de la société. Quand on voit le temps que le monde des nouvelles technologies a mis pour s’emparer du problème des cycles menstruels – qui ne concerne « que » la moitié de la population mondiale – il y a de quoi se demander si on en a fini avec la honte liée aux menstruations. Le festival Futur.e.s, qui a organisé la semaine dernière la conférence L’état de l’art de la menstrutech (soit les applis consacrées aux règles), nous a donné une bonne occasion de nous pencher sur la santé féminine connectée. Ce n’est qu’en 2013 que l’appli Clue et sa principale concurrente Glow sont apparues. Puis Flo, Maya, pTracker leur ont emboîté le pas. Aujourd’hui, les montres connectées s’y mettent aussi. Sous la pression des utilisatrices, Fitbit a ajouté en mai une application de suivi de cycle menstruel. Notons qu’il n’existe toujours pas d’émoji règles à ce jour.
« Dans un univers à 90 % masculin [la Silicon Valley], il n’est pas étonnant que personne n’y ait pensé plus tôt », analyse Isabelle Collet, maîtresse d’enseignement et de recherche en sciences de l’éducation, spécialiste des questions de genre. Un argument repris par la journaliste du Figaro Lucie Ronfaut, à l’origine du terme « menstrutech ».
Mais, surtout, les « ragnagnas », comme on a tendance à les appeler dans une stratégie d’évitement, ça se cache. Il a fallu attendre 2018 pour voir une publicité Nana montrer du sang rouge, et non plus bleu, jugé moins répulsif. « Le tabou est certainement une autre explication à cet oubli», estime Isabelle Collet qui se souvient des premières applications consacrées aux règles. « Elles étaient très mignonnes avec des petits coeurs, on aurait dit un journal de jeunes filles, comme si elles cherchaient à neutraliser le côté sale des règles. »
Si ces applications répondent à un réel besoin d’information en aidant les femmes à comprendre ce qu’il se passe dans leur corps, à repérer les signes d’ovulation et à reconnaître des cycles normaux, elles ont tendance à alimenter la culture de la honte. « Ces innovations maintiendraient le dégoût déjà associé aux règles, et largement propagé dans les publicités pour les produits d’hygiène », expliquait Marion Coville, chercheuse post-doctorante à Télécom ParisTech, pendant la conférence L’état de l’art de la menstrutech. Les entreprises qui possèdent ces applis conçoivent en parallèle « des capteurs connectés pour un usage complémentaire, comme des bracelets, des thermomètres, ou une cup connectée, capable d’envoyer une alerte lorsque la coupe est pleine », écrit-elle sur FemTech. La notification «Vos règles sont sur le point de commencer » qui s’affiche sur le téléphone s’invite comme un rappel à l’ordre. Il ne faudrait quand même pas oublier d’avoir peur de la tache.
Le cycle féminin, un sujet d’autant plus tabou que la Silicon Valley reste dominée par les hommes.