20 Minutes

Les raisons de l’absence des ados prostituée­s

Le procès de 12 proxénètes lève le voile sur ces jeunes filles qui se prostituen­t pour de l’argent facile

- Vincent Vantighem

« C’est dommage que ces victimes soient absentes, mais ce n’est pas surprenant. » La présidente de la 15e chambre du tribunal correction­nel de Paris soupire. Ce mardi, elle doit rendre son jugement à l’encontre de douze jeunes hommes accusés de proxénétis­me aggravé*. Ils encourent dix ans de prison pour avoir aidé et encouragé quatorze adolescent­es – dont huit mineures – à se prostituer en 2016. Sauf qu’aucune d’entre elles n’est venue témoigner au cours du procès consacré à cette affaire illustrant ce que les médias ont surnommé « le nouveau proxénétis­me des cités ».

« Le mot escort passe mieux »

« Elles sont absentes, car elles ont honte et peur des représaill­es », pense Vanina Meplain, avocate de l’associatio­n Equipes d’action contre le proxénétis­me (EACP). « Peut-être aussi parce que certaines d’entre elles continuent toujours à vendre leurs charmes», avance une source judiciaire. Sûrement – et c’est le plus inquiétant – parce que la plupart ne voient pas le mal qu’il y a à enchaîner cinq à dix passes chaque jour dans un hôtel de la banlieue parisienne ou dans un appartemen­t loué sur Airbnb. Pour le comprendre, le tribunal n’a donc eu d’autre choix que de se concentrer sur les déclaratio­ns que ces jeunes filles ont faites aux policiers. A commencer par celles de Myriam**, 14 ans à cette époque : « Je me dis que je ne suis pas victime dans cette histoire parce que j’étais d’accord [pour me prostituer].» Ou celles de Sarah, même âge : «Je fais ce que je veux avec mon corps, je suis complèteme­nt consentant­e.» Pour cette jeune fille, il faut parler « d’escorting » plutôt que de prostituti­on, parce que « le mot passe mieux ». Et de préciser qu’elle s’y était mise «après avoir entendu parler » de cette nouvelle « mode », en pleine expansion. Chargé de 21 dossiers de ce genre en 2015, l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains en était à 84 en 2017.

Avec comme modèles revendiqué­s Zahia ou Kim Kardashian, qui a bâti sa fortune sur une sextape, ces adolescent­es détonnent par un matérialis­me poussé à l’extrême. «A 14 ans, ma fille voulait porter des talons, mettre des faux ongles et avoir du maquillage, résume Béatrice, la mère de l’une d’entre elles. Je lui avais dit d’attendre 18 ans pour cela… Mais ses souteneurs lui ont tout offert tout de suite. » Aussi peu éclairé soit-il, le consenteme­nt de ces jeunes filles s’est logiquemen­t transformé, lors du procès, en argument de défense pour les prévenus. « Madame la présidente, elles ne se respectent pas! Pourquoi je devrais les respecter?» a interrogé l’un d’entre eux. «Quand on écoute le discours que ces jeunes tiennent, on se dit qu’on risque d’avoir beaucoup de procès de ce genre», s’est désolé un avocat de la défense.

* Lundi, des peines de huit mois à sept ans de prison ont été requises à leur encontre. ** Les prénoms ont été changés.

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Certaines ados ont affirmé être pleinement consentant­es.

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