20 Minutes

«Dire : “Je suis désolé” ne suffit pas»

Eve Ensler sort une lettre d’excuse imaginaire de son père, qui l’a violée de ses 5 à 10 ans

- Propos recueillis par Aude Lorriaux

Eve Ensler est la créatrice des célèbres Monologues du vagin, une pièce de théâtre jouée dans le monde entier. Elle sort un nouveau livre, Pardon (Denoël), lettre d’excuse imaginaire de son père, Arthur, mort il y a plus de trente ans, qui l’a violée de ses 5 à 10 ans. Un livre puissant, comme l’empathie de son autrice.

Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’écrire ce livre ?

Il y a plusieurs raisons. Pendant des années, j’ai attendu une excuse, comme tous les survivants. Je brûlais d’envie qu’il me dise la vérité. Je m’imaginais aller à la boîte aux lettres et recevoir cette lettre d’excuse, même après sa mort. Et il y a une autre raison : je suis impliquée dans un mouvement qui lutte contre les violences faites aux femmes (lire l’encadré) et, depuis #MeToo, j’ai commencé à penser à tous les hommes qui ont été accusés. J’ai pris conscience qu’aucun homme ne s’était jamais excusé. Jamais. Je me suis dit que j’avais besoin d’écrire cette excuse. Et que surtout, il fallait que je crée un modèle qui pourrait inspirer d’autres hommes.

Une sorte d’exemple ?

Oui, en quatre étapes. La première, c’est de regarder en soi-même. Quels sont les ingrédient­s qui ont fait de moi un homme capable de violer, de violenter, de harceler? La deuxième étape consiste à décrire en détail ce que vous avez fait. Mais dire : « Je suis désolé si je t’ai abusée» ne suffit pas. Il faut dire : “Je suis venu au milieu de la nuit et j’ai baissé ta culotte contre ta volonté”. Troisièmem­ent, il faut essayer de ressentir ce que votre victime a pu ressentir. Enfin, il faut assumer la pleine responsabi­lité de vos actes.

Vous dites que votre père aussi est une victime, de la virilité toxique. Qu’est-ce qui cloche dans le modèle traditionn­el masculin dominant ?

Nous naissons remplis d’amour. Plus tard, on enseigne aux garçons à ne pas être vulnérable­s, à ne pas pleurer, à ne pas être tendres. Ils doivent mettre tous leurs sentiments de côté, et alors ces sentiments se métamorpho­sent et deviennent laids. Nous devons commencer à éduquer les garçons comme des êtres humains. Les laisser exprimer leurs peurs, avoir des besoins. Les laisser jouer, aimer danser, bouger leur corps.

S’excuser, pour un homme, c’est plus difficile que pour une femme ? Comme mon père le dit dans le livre, s’excuser, c’est être un traître à la masculinit­é. Quand les hommes apprendron­t à s’excuser, alors tout le patriarcat va s’effondrer. On leur apprend que s’excuser, c’est une défaite. Alors que c’est le contraire : quand on s’excuse, on permet à l’énergie de circuler à l’intérieur de soi. S’excuser, c’est une force.

Pensez-vous que les jeunes hommes actuels sont davantage capables de s’excuser ?

Cela dépend de leur mère et de leur père… Je suis partagée. Nous progresson­s et nous reculons en même temps. Mais j’ai été surprise par la réaction de beaucoup d’hommes au livre. J’ai reçu des lettres magnifique­s.

Quelle est la chose la plus urgente à faire aujourd’hui pour lutter contre ces violences ?

Ma réponse va peut-être vous surprendre. Mais je pense que le plus urgent aujourd’hui est de stopper la catastroph­e climatique. La façon dont nous traitons la planète n’est pas différente de la façon dont nous traitons le corps des femmes. Il faut tenir les deux combats ensemble.

« Quand les hommes apprendron­t à s’excuser, alors tout le patriarcat va s’effondrer. »

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20 Minutes a rencontré Eve Ensler, connue pour ses Monologues du vagin, le 7 janvier au Café français, à Paris (4e).

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