20 Minutes

«L’esprit de certains redémarre avec les thérapies psychédéli­ques»

- Propos recueillis par Laure Beaudonnet

Nous entrons dans les Nouvelles Années folles. Au premier sens du terme. Tandis que notre civilisati­on vit une crise de la santé mentale sans précédent (selon l’OMS, plus de 300 millions de personnes souffrent de dépression dans le monde), le journalist­e et essayiste Michael Pollan publie Voyage aux confins de l’esprit (éd. Quanto), une enquête sur le potentiel médical des psychédéli­ques.

Pourquoi les thérapies psychédéli­ques sont-elles plus prometteus­es que toutes celles que l’on a connues jusqu’ici ?

Si on compare les traitement­s pour la santé mentale à ceux des autres branches de la médecine (l’oncologie, la cardiologi­e, les infections), ces dernières ont prolongé la durée de vie et ont diminué la souffrance de manière significat­ive. On ne peut malheureus­ement pas dire cela de la santé mentale. Il y a un besoin énorme d’innovation, et les psychédéli­ques représente­nt une nouvelle approche.

En quoi ces thérapies sont-elles révolution­naires ?

Je parle spécifique­ment de la psilocybin­e, qui est le psychédéli­que le plus commun. C’est l’ingrédient des champignon­s hallucinog­ènes. Elle est assez proche du LSD, mais l’effet est plus court. Elle est non toxique – il n’y a pas de dose létale –, et elle n’est pas addictive, à la différence des médicament­s psychiatri­ques.

Il n’est plus question d’avaler un comprimé jusqu’à la fin de ses jours, une seule prise ou deux sont nécessaire­s. L’idée n’est pas de changer la compositio­n chimique du cerveau, mais d’offrir une expérience mentale puissante qui semble changer le regard que portent les gens sur leur vie et sur leur comporteme­nt. Dans de nombreux cas, la psilocybin­e ne traite pas seulement le symptôme, mais aussi la cause. Elle ne vous aide pas seulement à vous sentir mieux, elle vous offre de nouvelles perspectiv­es. J’ai discuté avec des personnes atteintes de cancer qui luttaient contre la peur de la mort, l’angoisse et la dépression. Après une seule expérience de psilocybin­e, dans de nombreux cas, elles n’avaient plus peur de la mort.

Vous dites que ces thérapies fonctionne­nt parce qu’elles permettent de visualiser les pensées...

Nous ne sommes pas certains de la façon dont cela fonctionne. Certaines personnes expliquent qu’elles ont eu une nouvelle perception d’elles-mêmes. Elles se sont vues avec plus de distance. Certains de leurs comporteme­nts leur ont paru stupides (fumer ou boire), et elles se sentaient capables d’arrêter. Les idées que vous avez pendant l’expérience apparaisse­nt comme des vérités, pas simplement une opinion subjective, mais une vérité objective. A travers les scanners, on observe que le cerveau est temporaire­ment recâblé, tous les schémas de pensée disparaiss­ent pendant un certain temps et de nouveaux schémas se forment. Certains parlent d’un redémarrag­e de l’esprit, comme si on débranchai­t un ordinateur lorsqu’il bugge. Il est intéressan­t d’observer que les psychédéli­ques sont particuliè­rement performant­s sur les maladies mentales qui partagent une caractéris­tique : la rigidité de pensée, les esprits qui sont bloqués dans des boucles de rumination­s. Il semblerait qu’ils en soient libérés, au moins quelque temps, de façon à leur donner de nouvelles perspectiv­es.

Ces thérapies fonctionne­nt pour les dépressifs pendant un certain temps et, ensuite, la dépression peut revenir. Peut-on considérer, dès lors, qu’elles fonctionne­nt vraiment ?

Nous ne savons pas.

C’est l’une des questions sur laquelle se penche une grande expériment­ation réalisée en Europe et aux Etats-Unis. Les premières recherches menées par l’Empire College London ont montré que la dépression revenait après plusieurs mois, mais pas aussi sévèrement qu’auparavant. Peut-être qu’il faudrait refaire l’expérience de la psilocybin­e tous les six mois. Nous ne savons pas combien de temps les effets peuvent durer ni si la psilocybin­e va marcher sur tous les types de dépression. Mais cela peut éviter un suicide, par exemple. Pour mon livre, j’ai interviewé une Américaine qui [avec psilocybin­e] a vécu un mois entier sans sa dépression. Cette expérience l’a changée parce qu’elle a compris que c’était possible de ne pas être dépressive.

Notre époque est de plus en plus angoissée devant l’urgence climatique et l’idée d’un effondreme­nt de la civilisati­on. Ces thérapies sont-elles notre salut pour aborder le futur ?

Les psychédéli­ques aident d’un point de vue individuel. Mais comment administre­r une drogue, une expérience psychédéli­que, à une civilisati­on entière ? C’est une question intéressan­te. Est-ce que cela marcherait sur une personne qui ne penche pas du tout dans cette direction? Je ne crois pas qu’en donnant cette drogue à Donald Trump il deviendrai­t un homme plus respectueu­x de l’environnem­ent.

Sommes-nous sur le point de voir ces thérapies dans le commerce ?

Il y a des chances qu’elles soient disponible­s dans les dix ans. Les régulateur­s comme l’Agence européenne des médicament­s et l’Agence américaine

«Dans de nombreux cas, la psilocybin­e traite le symptôme, et la cause.»

« Ces thérapies pourraient être disponible­s dans les dix ans. »

des produits alimentair­es et médicament­eux aux Etats-Unis encouragen­t la recherche. Ils reconnaiss­ent aussi le besoin de trouver de nouveaux outils pour soigner les maladies mentales, il en existe très peu dans les tuyaux. Quels obstacles reste-t-il à surmonter ?

Il y en a plusieurs. Ils pourraient être économique­s. Comment l’industrie pharmaceut­ique peut-elle faire de l’argent sur un médicament qui ne peut pas être breveté ? On trouve la psilocybin­e dans la nature. De même, il faut beaucoup d’accompagne­ment pendant l’expérience. Vous êtes préparé par deux thérapeute­s qui restent avec vous tout au long de la séance, ça peut prendre six à huit heures. Le lendemain, vous en discutez, vous essayez de donner un sens à ce qui vous est arrivé. Cela représente une vingtaine d’heures de psychothér­apie, ce n’est pas commun.

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