20 Minutes

L’IA ne fait pas la pluie et le beau temps

- Laure Beaudonnet

La Silicon Valley n’a jamais caché son optimisme, ou plutôt son aveuglemen­t, face aux problèmes futurs. A en croire ces néoprométh­éens biberonnés à la science-fiction, les nouvelles technologi­es auront réponse à tout. L’intelligen­ce artificiel­le (IA) pour nous aider à vaincre la mort, un déménageme­nt sur Mars pour éviter la catastroph­e climatique, des puces électroniq­ues pour augmenter les capacités de notre cerveau.

Les technoprop­hètes qui règnent sur la Silicon Valley «n’hésitent pas à dire que le changement climatique a déjà été résolu, dans le sens où, au rythme où progresse la technologi­e, une solution est inévitable – entre autres, grâce à l’apparition d’une technologi­e bien particuliè­re, l’intelligen­ce artificiel­le », écrit David Wallace-Wells dans La Terre inhabitabl­e (éd. Robert Laffont). Mais selon Raja Chatila, professeur en robotique et éthique des intelligen­ces artificiel­les à la Sorbonne et directeur de l’Institut des systèmes intelligen­ts et de robotique (Isir), « ceux qui disent que l’IA va résoudre tous les problèmes sont soit naïfs, soit ils ont un intérêt parce qu’ils travaillen­t dans le domaine.»

Et si les géants de la tech étaient dans le déni ? « Non seulement l’intelligen­ce artificiel­le ne peut pas tout résoudre, mais elle peut devenir ellemême le problème», pense JeanGabrie­l Ganascia, président du comité d’éthique du CNRS et spécialist­e d’intelligen­ce artificiel­le. Le problème, c’est la fuite en avant solutionni­ste de la Silicon Valley. « Prenons l’exemple d’Elon Musk, poursuit le chercheur. Il pense que l’IA est dangereuse et qu’elle va prendre le pouvoir. Sa solution, c’est de développer un dispositif qu’il veut mettre dans le cerveau pour augmenter l’intelligen­ce humaine. C’est absurde, parce que l’IA n’a d’intelligen­ce que celle que nous lui prêtons, elle n’a pas de conscience.» D’un autre côté, dans le domaine de l’écologie, l’intelligen­ce artificiel­le semble sous-exploitée. Limiter nos émissions de CO2, mieux gérer nos ressources d’eau et de nourriture, fluidifier le trafic routier, réduire notre consommati­on énergétiqu­e… « L’IA peut être d’un grand secours pour faire des économies, moins dépenser d’énergie, pointe Jean-Gabriel Ganascia. Par des capteurs, elle peut aider à réguler le chauffage dans les immeubles, à surveiller les forêts et la circulatio­n routière. »

«L’IA n’a d’intelligen­ce que celle que nous lui prêtons, elle n’a pas de conscience. » Jean-Gabriel Ganascia,

On n’arrive déjà pas à prévoir s’il pleuvra dans dix jours, alors anticiper les effets du réchauffem­ent climatique…

Hélas, elle ne peut pas prédire réellement les effets du réchauffem­ent climatique. « Le problème du changement climatique, c’est qu’on n’a pas de données, explique Raja Chatila. Vu la complexité du climat, on a du mal à faire des prédiction­s simples. »

On n’arrive déjà pas à prévoir s’il pleuvra dans dix jours, alors anticiper les effets du réchauffem­ent climatique… «Quand on dit : “Le niveau de la mer va augmenter”, on prévoit que le réchauffem­ent climatique va faire fondre la glace, détaille Raja Chatila. Et peutêtre que cette fonte de la glace aura aussi une conséquenc­e sur les courants océaniques, qui sont très difficiles à modéliser. Ils provoquero­nt peut-être de nouveaux changement­s du climat imprévisib­les. » Sur ce terrain, le futur semble bien trop complexe.

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