«Un an après, on n’oublie pas »
A l’approche du premier anniversaire de l’incendie de l’usine Lubrizol, la peur n’a pas quitté les habitants de l’agglomération rouennaise.
Un bout de mur encore noirci par la suie. Il faut plisser les yeux pour le voir depuis la rue Stalingrad, au Petit-Quevilly (Seine-Maritime), où Robin Letellier, photographe indépendant et membre de l’Association des sinistrés de Lubrizol (ASL), nous conduit. Le meilleur point de vue si on veut observer les éventuelles traces de l’incendie qui a frappé, le 26 septembre 2019, le site rouennais de Lubrizol, spécialisé dans les lubrifiants pour moteur et classé «Seveso seuil haut» pour la dangerosité des produits qu’il utilise.
« Cet été encore, on voyait toujours des débris calcinés au sol », glisse Robin Letellier. Mais, mercredi dernier, rien ou presque ne laissait deviner que 9 500 tonnes de produits chimiques ont brûlé pendant douze heures. La préfecture de Seine-Maritime avait fixé le premier anniversaire de la catastrophe comme date limite pour achever les travaux de nettoyage. Le délai a été tenu, indique Charlotte Goujon, maire du Petit-Quevilly. Gérald Le Corre en sourit. «Chacun a ses objectifs», remarque le responsable santé et travail à la CGT Seine-Maritime et animateur du Collectif unitaire Lubrizol. Celui du collectif sera de réunir un maximum de monde samedi, à 13h30 devant Lubrizol, point de départ d’une grande manifestation. Avec un slogan : «Un an après, on n’oublie pas!», disent les tracts. « Impossible, assure Simon de Carvalho, porte-parole de l’ASL. Ici, chaque habitant a quelque chose à vous raconter sur ce 26 septembre. » Il évoque les yeux qui piquent, les maux de tête, les diarrhées pour les uns, les vomissements pour les autres. Robin Letellier ajoute « des débris d’amiante retrouvés sur les toits de maison, dans les jardins et sur les terres agricoles du pays de Bray [au nord-est de Rouen]. »
Pierre-André Durand, préfet de SeineMaritime, dit comprendre le traumatisme et la colère d’une partie des
« Chaque habitant a quelque chose à vous raconter sur ce 26 septembre.» Simon de Carvalho, Association de sinistrés de Lubrizol
«L’émotion ne doit pas occulter la réalité de ce que fut cet incendie. » Pierre-André Durand, préfet de Seine-Maritime
Rouennais. «Mais l’émotion ne doit pas occulter la réalité de ce que fut cet incendie, estime-t-il. Certains ont fait la comparaison, à tort, avec l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, qui a fait 31 morts, 3000 blessés et 15000 appartements détruits. Lubrizol, c’est zéro à chaque fois. » Les analyses sanitaires que publie la préfecture invitent aussi à plus de sérénité. C’est le cas de l’Interprétation de l’étude des milieux (IEM), qui visait à mesurer les traces de l’incendie dans les sols et sur les végétaux des communes touchées. Résultat? «Les analyses sont conformes aux seuils», conclut-elle.
Le hic, « c’est qu’on ne sait pas bien ce qu’il faut chercher, pointe Guillaume Blavette, administrateur de France nature environnement (FNE) Normandie. On ne sait même pas très bien les effets de ces substances sur un organisme vivant lorsqu’elles brûlent. » Ce doute sur le suivi sanitaire illustre la confiance rompue entre une partie de la population rouennaise d’un côté, et l’Etat et les industriels de l’autre.