Les cours criminelles départementales ne font pas l’unanimité
Pourquoi la généralisation des cours criminelles départementales, défendue par Eric Dupond-Moretti, fait-elle débat ?
L’archive fait mal. Sur le plateau d’« On n’est pas couché », en juin 2020, l’avocat Eric Dupond-Moretti s’insurgeait contre une éventuelle généralisation des cours criminelles départementales (CCD) sans jurés populaires : « C’est de la folie ! Ils veulent de l’entre-soi. » Un an plus tard, le ministre Eric DupondMoretti va défendre devant l’Assemblée nationale ce projet. Ce mardi et jusqu’à la fin de la semaine, les députés vont examiner son projet de loi « Pour la confiance dans l’institution judiciaire ». Le texte prévoit de pérenniser ces nouvelles cours criminelles expérimentées depuis septembre 2019 dans plusieurs départements. Malgré des retours plutôt positifs du côté des professionnels concernés, certaines inquiétudes subsistent.
Le but du gouvernement : gagner du temps, de l’argent et désengorger les cours d’assises. Composées uniquement de cinq magistrats professionnels, ces CCD sont chargées de juger en première instance des crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion, majoritairement des viols. L’expérimentation devait durer trois ans. Mais il n’en sera rien, regrette Catherine Vandier, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats (USM) : « Sur le fond, nous ne sommes pas opposés à ces cours. Mais sur la forme, il est prématuré de généraliser ce dispositif sans en avoir tiré toutes les conclusions. »
« Le danger d’une routine »
Les remontées depuis 2019 sont toutefois jugées positives par la magistrate. Communiqués le 12 avril à l’AFP, les chiffres du ministère de la Justice relatifs aux CCD vont aussi en ce sens. « Le délai d’audiencement était de 6,5 mois pour les dossiers avec des accusés détenus et de 8,7 mois pour les accusés libres, contre 13,5 mois en moyenne pour les viols jugés aux assises en 2018. »
Pour autant, la perspective d’une généralisation de ces cours suscite toujours des inquiétudes. « Ces cours traitent à 90 % de crimes sexuels, indique JeanPierre Getti, à la tête d’une commission sur les CCD. Le danger, c’est qu’une routine s’installe. Les mêmes magistrats vont devoir juger de mêmes dossiers, et cela peut parfois se faire au détriment de la qualité des débats. La présence de jurés-citoyens permet d’éviter de tomber dans cette routine. »
Autre argument avancé par le gouvernement, la généralisation de ces cours criminelles permettrait d’éviter à des affaires de viol d’être « correctionnalisées » et à leurs auteurs d’être condamnés à des peines plus faibles qu’aux assises. Mais la requalification de viols en délits « d’agression sexuelle » pour permettre aux victimes d’obtenir un procès plus rapidement qu’aux assises est dénoncée par les associations de défense des droits des femmes. « Quand on sait qu’il faut, au bas mot, au moins un an pour instruire ce type d’affaires, il aurait été préférable d’attendre la fin de l’expérimentation », conclut Catherine Vandier.