20 Minutes

« Le procès peut aider au travail de reconstruc­tion »

L’ex-procureur de la République de Paris François Molins revient pour « 20 Minutes » sur les attentats du 13-Novembre et évoque l’audience hors norme à venir.

- Propos recueillis par Hélène Sergent

Rarement le visage d’un procureur n’aura été si familier pour les Français. La mine grave de François Molins s’est imposée après chaque attentat djihadiste lorsqu’il occupait le poste de procureur de la République de Paris, entre 2011 et 2018. Mobilisé le soir des attentats du 13 novembre 2015, ce haut magistrat, devenu procureur général près la Cour de cassation, n’a rien oublié de cette nuit, avant l’ouverture du procès, mercredi.

Six ans après les attentats, que retenez-vous de cette soirée ?

C’est compliqué de parler de ça, mais ce que je peux dire, c’est que tout ce qui s’est passé cette nuit-là est présent dans ma tête avec la même précision et la même intensité que si cela s’était produit il y a trois mois.

Ces attentats ont-ils modifié l’exercice du métier de procureur ?

Ils n’ont pas fondamenta­lement changé les choses. Je dis toujours que c’est normal d’avoir des émotions dans l’exercice de nos fonctions, mais qu’il faut les gérer pour qu’elles ne viennent pas perturber les pratiques profession­nelles. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que la gestion de l’attentat et de ses suites ont pu renvoyer à certaines choses – je ne sais pas s’il faut parler de carences – qui auraient pu mieux fonctionne­r et qui pouvaient être améliorées. Cela s’est traduit, ensuite, par une dynamique visant à modifier nos dispositif­s, à adapter la politique pénale et à renforcer nos partenaria­ts avec les services de renseignem­ent, par exemple.

Après la découverte des scènes de crime, vous avez été chargé de superviser le début de l’enquête. Qu’est-ce qui a été le plus difficile à gérer ?

La plus grande difficulté, c’est la multiplici­té de tout ce qu’il faut faire très vite et sans se tromper. D’abord, il faut qualifier les faits – sont-ils terroriste­s ou pas ? Il faut choisir un service d’enquête, désigner celui qui va coordonner les investigat­ions. Ensuite, il faut lancer le dispositif de cellule de crise, coordonner l’action du parquet pour lui permettre de s’organiser et d’être présent sur toutes les scènes de crime. Il faut lancer les dispositif­s d’aide aux victimes. On est aussi chargé de lancer les dispositif­s de médecine légale. À l’époque, pour accomplir l’ensemble de ces missions, la cellule de crise regroupait une douzaine de magistrats. Et on a pu en mobiliser 37, en l’espace de deux semaines, qui se relayaient nuit et jour, 7 j/7. Enfin, il a fallu lancer la communicat­ion et la coopératio­n pénale internatio­nale. La vraie difficulté, c’est d’arriver à mener toutes ces responsabi­lités et de relever tous ces défis de front.

Que peut-on attendre des débats qui vont s’ouvrir mercredi ?

Je pense que l’on peut attendre beaucoup de choses de ce procès. L’enquête a été colossale, l’instructio­n compte plus de 400 tomes, et on se rend compte que les investigat­ions ont permis de faire le tour du dossier. Le réseau des attentats du 13-Novembre regroupe une trentaine de personnes. Quatorze accusés vont comparaîtr­e devant la cour d’assises spéciale de Paris et il y en a, parmi eux, à qui l’on reproche des choses extrêmemen­t graves qui relèvent de la préparatio­n et de la participat­ion à l’attentat. L’audience doit permettre de démontrer tout ce qui s’est passé, le rôle de chacun et leurs connexions.

Ce procès peut-il avoir un intérêt pour l’ensemble de la société ?

Oui, vraiment. Un attentat comme celui-là suscite énormément de peurs et d’anxiété dans la société. Le rôle de la justice, c’est de nommer les choses, de parvenir à la manifestat­ion de la vérité et de condamner les coupables. À partir du moment où elle remplit cet officelà, je pense que cela participe, d’une certaine façon, à la gestion des peurs de la société, et cela aide au travail de reconstruc­tion et de résilience des victimes.

Quelle analyse faites-vous de la menace terroriste actuelle en France ?

Le risque a largement évolué. Les dernières analyses parlent de « terrorisme d’atmosphère ». Nous sommes confrontés à des individus radicalisé­s, qui peuvent parfois souffrir de troubles psychologi­ques ou psychiatri­ques, et qui, dans un climat assez tendu, sur fond de polémiques – sur la laïcité, le voile intégral, l’islam ou les caricature­s de Mahomet –, peuvent être tentés de passer à l’acte.

« Un attentat comme celui-là [du 13-Novembre] suscite énormément de peurs et d’anxiété dans la société. Le procès peut aider au travail de reconstruc­tion et de résilience des victimes. »

François Molins

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O. Juszczak / 20 Minutes François Molins est désormais procureur général près la Cour de cassation.
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