En Estonie, la frontière de l’Europe tient bon
La maire de Narva, ville toute proche de la Russie, compte sur l’UE et sur l’Otan pour écarter une menace militaire
Rebelote. Comme en 2014, lors de l’annexion de la Crimée par la Russie, la ville de Narva, à l’extrémité orientale de l’Estonie, est sous les feux de l’actualité avec la guerre en Ukraine. Depuis le 24 février, les journalistes occidentaux défilent dans la cité d’un peu plus de 65 000 habitants, curieux de savoir si la ville, reliée à la Russie par le pont de l’Amitié, sera la prochaine proie de Vladimir Poutine. Face au fleuve, une statue de Lénine, l’une des dernières d’Estonie, montre du doigt la frontière russe, longue d’environ 300 km, et sur laquelle se trouvent trois postes-frontières.
« Des journalistes m’ont demandé si j’avais eu peur en 2014, rapporte la maire de la ville, Katri Raik [Parti social-démocrate]. Je n’avais pas peur, et je n’ai toujours pas peur en 2022. Personne ne doute que nos frontières sont bien sécurisées, et nous avons des forces alliées présentes en Estonie, en plus de nos propres forces militaires. Nous faisons partie de l’Otan et de l’Union européenne, il n’y a pas de menace militaire contre l’Estonie. » Pendant l’occupation soviétique, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux Russes ont été envoyés à Narva, notamment pour travailler dans le textile. « En 1991, l’Union soviétique s’est effondrée, rappelle Katri Raik. Certains Russes sont partis, d’autres sont restés, et parmi eux certains ont reçu la nationalité estonienne, d’autres non. Mais pour tous ceux qui sont restés, l’Estonie est devenue leur patrie. À Narva, la plupart des gens sont des Russo-Estoniens. »
La crainte d’une « cinquième colonne »
Peuplée à plus de 90 % de russophones, Narva souffre d’une image à part en Estonie, comme une sorte d’enclave considérée avec méfiance. Petit à petit, une partie des russophones de la ville se sont intégrés, les nouvelles générations nées en Estonie n’ayant pas d’attache particulière en Russie, quand d’autres regrettent encore la grandeur soviétique. « Après trente ans, il y a toujours une suspicion par rapport à la “loyauté” de cette population, qui pourrait être une sorte de “cinquième colonne” », souligne Vincent Dautancourt, enseignantchercheur français à l’université de Tartu.
Une rumeur a circulé un temps à Narva, selon laquelle les autorités estoniennes pourraient retirer leur permis de séjour aux citoyens russes.
« C’est absolument faux, tranche Katri Raik. Notre ministère de l’Intérieur l’a confirmé le 28 février. Nous vivons dans un pays démocratique. » La maire de la ville, tout comme le gouvernement estonien, pense que la population russophone de Narva, qui s’informait essentiellement avec les médias de langue russe jusqu’à ce qu’ils soient interdits dans le pays (ce qui n’empêche pas certains de contourner l’interdiction), a besoin d’être rassurée. « Je pense que l’on a besoin de davantage se parler, avance Katri Raik, et nous devons accorder plus d’attention à notre communication envers la population russe et russophone. Par exemple, en ce moment,
notre gouvernement discute de ce qu’il faut interdire et autoriser le 9 mai [célébration de la victoire soviétique lors de la Seconde Guerre mondiale]. Devrions-nous interdire certains symboles, comme le “Z” [symbole de soutien à l’armée russe], ou d’autres, et surtout pourquoi ? » Katri Raik estime que la ville a surtout besoin d’écoles de langue estonienne, alors que huit écoles sur dix sont en langue russe à Narva. « L’État l’a compris, en nous aidant à en construire une nouvelle, car les habitants veulent que leurs enfants aient un enseignement en estonien. » Pour certains, la guerre en Ukraine est l’occasion d’accélérer l’intégration des populations russophones.