20 Minutes

« Le génocide, c’est “le crime des crimes“»

- Propos recueillis par Hélène Sergent

La magistrate Aurélie Belliot dirige le pôle crimes contre l’humanité du Parquet national antiterror­iste, qui a ouvert plusieurs enquêtes liées au conflit en Ukraine

Pierre Zakrzewski avait 55 ans. Le 14 mars, ce caméraman francoirla­ndais a été tué en Ukraine. Deux jours plus tard, une enquête était ouverte par le Parquet national antiterror­iste (Pnat). En France, les magistrats du pôle crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre, rattachés au Pnat, sont chargés de ces dossiers. Dans une interview exclusive à 20 Minutes, Aurélie Belliot, vice-procureure à la tête de ce pôle, revient sur les difficulté­s rencontrée­s dans ces affaires complexes.

Pourquoi la justice française enquête-t-elle sur des crimes commis hors de ses frontières ?

Elle est compétente pour poursuivre des auteurs de crimes internatio­naux comme les crimes de guerre, les tortures, les disparitio­ns forcées, les crimes contre l’humanité ou les génocides. Nous pouvons nous saisir de ces faits dans plusieurs cas : quand la victime est française, quand l’auteur est français ou – en fonction des infraction­s – quand un auteur suspecté de ces faits réside habituelle­ment ou se trouve sur notre territoire. L’identifica­tion de victimes françaises impose une réponse judiciaire. Enfin, en ratifiant le statut de Rome, la France a intégré ces infraction­s dans son droit national.

Plusieurs responsabl­es politiques ont utilisé le mot de « génocide ». Une enquête pour ce type de faits pourrait-elle être ouverte ?

L’analyse juridique se construit au fil de la procédure. Le génocide, c’est « le crime des crimes ». Sa spécificit­é, c’est l’intention de détruire totalement ou partiellem­ent un groupe de population. Les crimes de guerre, eux, sont des violations du droit internatio­nal humanitair­e. Toute infraction commise en temps de guerre n’est pas forcément un crime ou un délit de guerre. Il faut qu’elle ait été commise lors d’un conflit armé, que ces faits soient en relation avec ce conflit et en violation des lois de la guerre, contre des biens et des personnes protégées, c’est-à-dire des civils.

Comment les équipes du pôle travaillen­t-elles sur ces enquêtes ?

Nous travaillon­s sur les enquêtes ukrainienn­es et sur les autres dossiers de la même manière. Leur spécificit­é commune, c’est qu’ils concernent des faits commis hors de nos frontières. Cette distance exige de nombreuses actions de coopératio­n et d’entraide judiciaire. La particular­ité des enquêtes liées à l’Ukraine, c’est que le conflit est en cours et se déroule sous nos yeux. La situation est très mouvante et nous oblige à suivre l’évolution des événements pratiqueme­nt en temps réel. Cela signifie des difficulté­s accrues pour accéder au terrain de preuves.

Combien de dossiers vos équipes gèrent-elles ?

On compte environ 80 instructio­ns en cours et près de 75 enquêtes préliminai­res. Nos équipes vont aussi être très mobilisées sur des procès d’ampleur. Le 9 mai, la cour d’assises de Paris doit juger un ancien préfet du Rwanda, Laurent Bucyibarut­a. Il comparait pour génocide, crimes contre l’humanité et complicité de ces crimes. Pour nous, la tenue d’un procès comme celui-là, c’est l’aboutissem­ent de plusieurs années de procédures judiciaire­s.

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State Emergency Service of Ukraine / Sipa Les secours devant un immeuble bombardé près de Kiev, le 11 avril.
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