Requiem pour un oligarque
La météo avait beau insister sur le soleil, l’ombre des mauvaises nouvelles dans les pas d’Oleg Chestov lui gâchait la fête. Cela faisait bien longtemps qu’il ne souriait plus, sinon par politesse, une froide grimace qu’il lâchait avec parcimonie à ses interlocuteurs, lorsqu’il se sentait obligé d’afficher un semblant d’humanité. Il avisa tout de suite la
silhouette de l’émissaire français, qui contemplait la mer au milieu des premiers touristes de ce début d’été. Il l’aborda avec un « sourire » en se plaçant discrètement à ses côtés, comme un amateur de paysage en promenade. Non loin, un traducteur de russe assurait au téléphone la fluidité de leurs échanges.
– Nous avons appris vos ennuis de santé, dit l’émissaire.
– Allez au fait, s’il vous plaît, répondit Chestov. Vous le savez, maintenant, mon temps est compté.
– Un nouveau lot de sanctions européennes est en préparation. Cette fois, vous êtes sur la liste. Vos accords avec les Américains n’y pourront rien. – Je vous écoute.
De l’extérieur, les deux hommes semblaient parler aux oreillettes de leur téléphone en s’ignorant, l’un en russe, l’autre en français.
– Nous souhaiterions que vous fassiez passer un message au Kremlin, dit l’émissaire. Nous savons qu’un petit groupe s’est formé afin de préparer l’après-guerre et nous voudrions établir un contact indirect avec certains d’entre eux.
En même temps qu’il conversait, Oleg Chestov calculait les avantages de cette nouvelle trahison, aussi avantageuse et risquée que celle passée avec les Américains. Quelle raison aurait-il eu de refuser ? N’était-il pas aussi condamné que le maître du Kremlin ?