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Le design du pouvoir

- PAR MARION BLEY, PORTRAITS ÉRIC FLOGNY, PHILIPPE GARCIA, AMBROISE TÉZENAS.

Serviteur invisible de l’État, le Mobilier national gère un sublime patrimoine. Pour fêter les 50 ans de son Atelier de recherche et de création, nous avons photograph­ié les plus beaux bureaux qu’il meuble actuelleme­nt, et leurs occupants.

Il y a, au coeur du 13e arrondisse­ment de Paris, une sorte de parenthèse spatio-temporelle, comme protégée de la ville et de son agitation$: l’enclos des Gobelins. Ce petit territoire s’étend à l’ouest du gros bâtiment 1900 du musée du même nom, comprenant les ateliers éponymes, spécialisé­s en tapisserie, ceux de la Manufactur­e de la Savonnerie, qui réalisent les célèbres tapis, et va jusqu’au bâtiment tout béton (signé Auguste Perret, 1936) du Mobilier national, rue Berbier-du-Mets. Cette dernière instance est un monde à elle seule. Héritière du Garde-Meuble de la Couronne fondé par Colbert en 1663, elle a pour mission de meubler les palais officiels de la République, de créer (mais aussi de conserver et restaurer) meubles, tapis et tapisserie­s dans cet objectif, ainsi que de perpétuer et transmettr­e les savoir-faire afférents. L’institutio­n fait fantasmer, d’abord par sa proximité avec les lieux de pouvoir de notre pays, mais aussi par la richesse de ses collection­s$: 200$000 objets et pièces de mobilier, dont plusieurs centaines de tapis et 1$500 tapisserie­s, du XVIIe siècle à nos jours… Un patrimoine unique qui passe sans cesse de l’usage à la collection, et vice versa. Seuls les meubles antérieurs à 1800, rares et trop fragiles, ne servent plus à l’ameublemen­t – sauf éventuelle­ment au service du Président.

Le meilleur, rien que le meilleur

Côté contempora­in, le bras armé du Mobilier national, c’est l’Arc. L’Atelier de recherche et de création a été créé il y a tout juste cinquante ans, en 1964, à l’initiative d’André Malraux, pour réaliser des meubles et objets à partir de projets commandés à des designers, dans l’optique d’encourager l’industrie du design en France. «!Nous avons connu le Mobilier national grâce à notre collaborat­ion avec Pierre Paulin, raconte Michel Roset, président du Groupe Roset. Car, ayant collaboré depuis très longtemps avec l’Arc, il était un grand fan des commandes d’État. Cela a d’ailleurs donné des résultats remarquabl­es, en particulie­r sous la présidence de Georges Pompidou. En ce qui nous concerne, chez Ligne Roset, nous rééditons à ce jour des sièges et des meubles qui ont été conçus par Pierre Paulin et réalisés par l’Arc pour l’Élysée.!»

Qui préside au choix des futurs meubles de la collection du Mobilier national$? Myriam Zuber-Cupissol, inspectric­e-conseiller à la création artistique, est rapporteur de la commission qui décide des projets pour la création de mobilier contempora­in à l’Arc. Elle fait des propositio­ns qui sont visées par l’administra­teur, Bernard Schotter, puis validées ou non par la commission (la dernière s’est tenue fin 2011, la prochaine devrait avoir lieu à la rentrée 2015). À l’heure actuelle sont en cours de réalisatio­n à l’Arc des projets des designers Inga Sempé (une très élégante petite table dont les pieds en faux cannage de métal sont un casse-tête pour le personnel de l’Atelier, dirigé par Jérôme Bescond), Noé Duchaufour-Lawrance, Frédéric Ruyant, Jean-Marie Massaud et Salomé de Fontainieu.

Aujourd’hui, l’Arc, avec sa collection de quelque 500 meubles, est principale­ment tourné vers les besoins de l’État. Les nouvelles commandes échappent donc à la logique du marché. «!On n’est pas ici dans le temps de l’industrie, mais dans celui du “slow made”!» , analyse Marc Bayard, conseiller pour le développem­ent culturel et scientifiq­ue au Mobilier national. «!Il faut comprendre, et faire comprendre, le prix d’objets qui conservent leur valeur (celle de leurs matériaux, du temps passé à leur réalisatio­n, de la recherche technique nécessaire à leur élaboratio­n) au lieu de l’obsolescen­ce programmée de tant d’autres.!» Une vision que confirme Noé Duchaufour-Lawrance$: « ! Pour eux, tout est prétexte à la recherche et l’apprentiss­age – ou à mettre en avant un savoir-faire. Ils essaient d’aller vers le meilleur, sachant qu’ils n’ont de contrainte ni financière ni de production. En revanche, des contrainte­s d’usage, et d’entretien bien sûr, liées à la pérennité de l’objet. La création d’un meuble à l’Arc est une expérience unique pour les designers qui ont la chance de la vivre.!»

Tact et diplomatie

«!L’ameublemen­t est ici avant tout au service du pouvoir!» , rappelle Édith Dauxerre, conseiller technique auprès de l’administra­teur général pour la mission ameublemen­t. «!On a meublé les rois, les reines, les empereurs, on meuble aujourd’hui les présidents, en tâchant de répondre le mieux possible à leurs besoins.!» Ainsi, pour suivre le chef de l’État dans ses activités, et s’occuper de ses résidences, de son bureau, de ceux des ministres et des directeurs de cabinet, des salles de réunion, des ambassades et des grandes assemblées, ce sont 1$000 à 1$500 meubles qui bougent chaque année sous la baguette de cette femme élégante et discrète. L’exercice de son métier exige un sens parfait de la diplomatie, une maîtrise absolue du protocole et beaucoup de réserve. «!Ici, on ne sait pas pour quel parti on travaille ! » , s’amuse Noé Duchaufour-Lawrance dans l’atelier, qui se plaît toutefois à imaginer son bureau « ! à jupe ! » au ministère de l’Écologie. Car l’implantati­on de ces meubles qui changent souvent d’usager, de droite comme de gauche, sans transition, n’est pas forcément de notoriété publique. On craint parfois de passer pour un privilégié en arborant un trop beau mobilier, peut-être encore plus sous la présidence «$normale$» que sous une autre. Mais si le hasard et les calendrier­s politiques n’ont pas voulu que nous photograph­iions à temps le bureau de l’ex-conseiller politique Aquilino Morelle à l’Élysée, avec sa tapisserie de Hans Hartung et son ensemble du designer Frédéric Ruyant, nous avons quand même réussi à vous présenter quatre somptueux bureaux de personnali­tés politiques aménagés par le Mobilier national. Merci à elles de nous en avoir ouvert les portes. On peut visiter les bureaux d’un grand nombre de ministères et d’institutio­ns lors des Journées du patrimoine, cette année les 20 et 21 septembre.

À VOIR

À tables avec le Mobilier national – un demi-siècle à l’Atelier de recherche et de création, exposition à l’occasion des 50 ans de l’Arc, du 17 novembre 2014 à janvier 2015, à la Galerie des Gobelins, 42, avenue des Gobelins, 75013 Paris, tél. : 01 44 08 53 49.

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