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L’USINE À RÊVES

- Texte Oscar Duboÿ, photos J ason Schmidt.

C’est dans un bâtiment industriel des années 1920 du quartier de Neukölln que le duo d’artistes Elmgreen & Dragset s’est installé. Un espace assez grand pour accueillir leurs oeuvres et leurs projets.

les remises en question d’elmgreen & dragset

Sans être choquantes, les installati­ons d’Elmgreen & Dragset interpelle­nt par leur humour qui subvertit les convention­s de la culture traditionn­elle, tout en proposant une vision assez lucide de la société. Si Han, leur jeune homme en acier inoxydable posé sur un rocher à Copenhague, imite la Petite Sirène en maniant le décalage, d’autres installati­ons plus globales fascinent pour leur scénograph­ie, tendance cinématogr­aphique. Les unes comme les autres racontent une histoire car, comme le disent les deux créateurs : « L’architectu­re intérieure a souvent été regardée de haut dans l’histoire de l’architectu­re ou de l’art,alors que le design d’un objet domestique révèle beaucoup de l’identité d’une personne et d’une société. Ce n’est pas que de la décoration. »

Peu importe l’immensité de la surface, Michael Elmgreen et Ingar Dragset ne sont pas du genre à se laisser intimider par les grands espaces. Déjà en 2008, les deux artistes avaient installé une piscine avec plongeon kilométriq­ue en plein mall de Yokohama pour la Triennale. Un an plus tard, ils investissa­ient le Pavillon nordique de Sverre Fehn, l’un des plus beaux de la Biennale de Venise, avec un loft en bois à faire pâlir un décorateur, mettant en scène aussi bien la Ox Chair de Hans J. Wegner que le fauteuil Ballon d’Eero Aarnio ou les chaises Tulip de Saarinen. L’année dernière encore, ils imaginaien­t l’appartemen­t d’un architecte dans les galeries du textile du Victoria and Albert Museum de Londres. Ils ont donc su parfaiteme­nt quoi faire des centaines de mètres carrés de cette ancienne station de pompage d’eau berlinoise trouvée en vente sur le web, au moment d’y poser leurs valises de globe-trotters : « On est tombés amoureux de ce bâtiment. C’est incroyable le soin avec lequel pouvait être dessinée ne serait-ce qu’une constructi­on industriel­le comme celle-ci au début du XXe siècle ! »

Peu de travaux donc, hormis l’abattement de quelques murs pour ouvrir l’espace et l’adapter à des besoins plus domestique­s et moins hydrauliqu­es (paradoxale­ment, la plomberie était à refaire…) avec l’aide de deux architecte­s, Nils Wenk and Jan Wiese. « Le grenier a représenté le plus gros challenge, vu qu’il n’avait jamais servi avant et n’était pas très sûr en termes de stabilité » : c’est ici que sont reçus aujourd’hui

« C’est incroyable le soin avec lequel pouvait être dessinée une constructi­on industriel­le au début du xxe siècle ! »

Michael Elmgreen et Ingar Dragset

les conservate­urs, collection­neurs et autres chanceux visiteurs. Dans le hall juste en dessous, les plafonds font treize mètres de haut. Assez pour réaliser toutes sortes de maquettes en taille réelle, des plus petites installati­ons aux commandes monumental­es. Assez pour suspendre des bureaux sur des passerelle­s qui glissent au besoin, grâce à un système de grues d’époque, tractées à partir du rez-de-chaussée avec des chaînes.

Tout cet engrenage a beau être bien huilé, on n’est ni dans la chocolater­ie de Willy Wonka ni dans l’usine des Temps modernes de Chaplin, mais plutôt dans « l’usine à rêves d’un monstre à deux têtes » , comme aiment à le dire Elmgreen & Dragset. Si les maîtres de maison n’y vivent plus à plein temps comme avant, une équipe bien soudée continue de faire tourner la machine. Deux chefs de projets suivent la fabricatio­n et le calendrier des exposition­s à travers le monde, pendant qu’un autre chapeaute le graphiste, l’architecte, les deux artistes assistants, l’archiviste, le comptable… Sans hiérarchie aucune, puisque toute la troupe se retrouve à déjeuner dans la grande cuisine à l’arrière du bâtiment, où chacun a son tour aux fourneaux, quand les charrettes n’imposent pas une livraison à domicile avec nuit blanche à la clé. Non, ce n’est pas non plus une auberge espagnole, mais à coup sûr l’incarnatio­n du mot « cool ».

 ??  ?? Un espace très, très dégagé. Les passerelle­s qui permettaie­nt aux ingénieurs de superviser toute la machinerie, quand l’endroit était une station hydrauliqu­e, font maintenant office de bureaux en mezzanine. Dessous, le studio de création.
Un espace très, très dégagé. Les passerelle­s qui permettaie­nt aux ingénieurs de superviser toute la machinerie, quand l’endroit était une station hydrauliqu­e, font maintenant office de bureaux en mezzanine. Dessous, le studio de création.
 ??  ?? Côté salon, sous les toits. La charpente
métallique fait le graphisme du lieu, absolument sobre et doté d’une grande fenêtre
qui lui donne un esprit terrasse.
Côté salon, sous les toits. La charpente métallique fait le graphisme du lieu, absolument sobre et doté d’une grande fenêtre qui lui donne un esprit terrasse.
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 ??  ?? 1 et 2. Tout en haut de l’immeuble est installée la partie salon où, entre Ox Chair de Hans Wegner, canapés-poufs et un bouc provenant
de leur installati­on German Barn (la Grange allemande), Michael Elmgreen (à g.) et Ingar Dragset peuvent se prélasser.
1 et 2. Tout en haut de l’immeuble est installée la partie salon où, entre Ox Chair de Hans Wegner, canapés-poufs et un bouc provenant de leur installati­on German Barn (la Grange allemande), Michael Elmgreen (à g.) et Ingar Dragset peuvent se prélasser.
 ??  ?? De brique et de verre, la station de pompage d’eau a été construite dans les années 1920. Et est restée inoccupée, avant d’être investie par les deux artistes en 1990.
De brique et de verre, la station de pompage d’eau a été construite dans les années 1920. Et est restée inoccupée, avant d’être investie par les deux artistes en 1990.

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