UNE GALERIE GRANDEUR NATURE
De l’espace ! C’est ce que voulait ce couple de New-Yorkais pour assouvir leur collectionnite aiguë. Leur propriété et leur maison servent maintenant de terrain de jeux à leurs artistes préférés.
Tout près de New York, dans un verdoyant coin de la vallée de l’Hudson, des choses étranges sortent de terre depuis douze ans. Un amas de boules de béton, un gigantesque escalier hélicoïdal effondré ou encore de curieux objets colorés éparpillés, comme des jouets abandonnés par un géant. Une récolte surprenante – des sculptures respectivement signées Sol LeWitt, Monika Sosnowska et Franz West – qui en dit moins sur la qualité de la terre que sur le couple qui l’a mise en culture. Avant d’acquérir cette lande de 161 hectares – une ancienne ferme –, le tandem, qui siège au conseil de plusieurs institutions culturelles, n’avait jamais possédé de maison de campagne. « On regardait les autres charger leur voiture le vendredi soir pour rejoindre leur résidence secondaire et on en plaisantait, raconte l’épouse, une citadine invétérée. Mais nous sommes des collectionneurs de sculptures, et pratiquer notre passion dans un appartement new-yorkais, c’est un peu difficile... »
L’architecte paysagiste Michael Van Valkenburgh a été leur premier interlocuteur. Il a eu pour tâche d’offrir aux artistes « l’équivalent des murs blancs d’un musée ou d’une galerie » … mais en gazon. Au début, les deux propriétaires étaient réticents à l’idée d’y édifier une maison, affirmant que tout ce qu’ils souhaitaient, c’était de l’espace pour leurs sculptures, un barbecue et une tente. Mais ils ont finalement recruté l’architecte Brad Cloepfil pour dessiner la maison principale ainsi que celle des invités, et réhabiliter la grange. Sans hésiter pour lui demander l’impossible. « Pour la première fois de ma carrière, j’ai dû tout reprendre à zéro. Et même à deux reprises ! » souligne l’architecte, qui a dessiné un plan époustouflant, en forme de symbole de l’infini avec deux porte-à-faux de douze mètres. Une véritable création en soi.
« Faites quelque chose que vous n’avez encore jamais réalisé », telle était la consigne donnée par les propriétaires aux artistes.
Sur le chantier, le choix des oeuvres a constitué la partie la plus facile. Pour habiller l’immense terrain, nos collectionneurs ont passé une commande un peu spéciale auprès des artistes, plaçant la barre très haut : « Faites quelque chose que vous n’avez encore jamais réalisé. » Leur souci était moins d’avoir une pièce unique que de satisfaire leur plaisir de collectionneurs et d’assister au processus de création. « Nous voulions des artistes avec qui dialoguer. Nous ne faisons pas dans le “plop art ”, un art qui vous tombe tout cru dans la bouche... » C’est aux artistes de choisir l’emplacement pour lequel sera créée leur oeuvre. Ainsi, le Danois Jeppe Hein est à l’honneur à deux reprises avec Modified Social Bench (2006) et Site Rotating Pavilion (2008), un labyrinthe de miroirs dans la forêt. « C’était une installation ambitieuse, confie l’artiste. Il a fallu pour l’installer bâtir de profondes fondations, construire une route pour évacuer les gravats avec des camions. Mais, une fois la pièce en place, tout a disparu. C’était comme si la forêt et la nature étaient restées intactes. » À tel point qu’une nuée de dindes, pensant que leur territoire avait été colonisé par d’autres, attaquaient leur propre reflet dans les miroirs ! « Quelqu’un a eu l’idée de répandre de l’urine de renard autour de l’oeuvre et le problème était réglé ! »
Alors que le peintre allemand Franz Ackermann réclame deux pans de mur de la salle à manger pour sa fresque Inhabitat Hills (2011), le vidéaste américain Doug Aitken s’octroie la façade entière avec Lighthouse (2012), une projection multiple d’éléments de nature filmés à différentes saisons. « Et, en ce moment, remarque la propriétaire des lieux, une artiste essaie de savoir si elle peut couler du bronze sur le site... »
Traduction de l’américain et adaptation Julie Michon.