LE CRÉATEUR.
Peter Schlesinger a été le modèleinspirateur-amant de David Hockney. On redécouvre, enfin, le céramiste et ses créations capricieuses et uniques.
Il y a, dans l’art comme ailleurs, des histoires d’amour légendaires, souvent parce que la passion était telle qu’elle a entraîné un tourbillon de fracas que le papier glacé ne cesse et ne cessera de recycler ; d’autres fois parce qu’elle est devenue le sujet même de l’oeuvre. C’est le cas de celle qui a uni David Hockney à Peter Schlesinger dans le courant des années 1960 et qui demeure à jamais sur les toiles les plus iconiques de l’artiste anglais. Peter allongé sur un lit, Peter nu sortant de la piscine, Peter regardant un ami nager, Peter en costume violet assis près de son appareil photo, Peter au balcon tournant le dos à l’artiste… jusqu’au film de Jack Hazan A Bigger Splash, consacré à leur couple, qui, au-delà d’avoir été salué à Cannes en 1974, sonnera aussi le clap de fin de leur histoire.
Si dorénavant il ne souhaite plus évoquer ce chapitre de sa vie, qu’il le veuille ou non, Peter Schlesinger est devenu, à moins de 25 ans, un personnage de l’histoire de l’art, au même titre que la laitière de Vermeer – à ceci près que son image ne sert pas (encore ?) à faire la publicité d’un produit alimentaire. Un personnage dont la jeunesse pourrait servir de trame à un bon scénario. Extraits : « C’était le premier jour de classe [à l’université de Los Angeles, en 1966, ndlr], le prof était blond décoloré, portait un costume rouge tomate, une cravate à pois, un chapeau et des lunettes cerclées de personnage de BD. J’ai aussitôt été attiré par lui parce que c’était un super prof de dessin, mais aussi parce qu’il était différent, drôle et sympa. Étant timide, je préférais les hommes plus âgés. » C’est
ainsi qu’il racontera sa rencontre avec son amant à l’un des biographes de ce dernier, Christopher Simon Sykes.
Mais grandir dans l’ombre ne peut durer éternellement. À mesure des voyages et des rencontres, Peter Schlesinger va tomber amoureux d’un autre homme, et prendre définitivement le large en 1971. Il lui reste une vie à accomplir, sa vie d’artiste. Pendant quinze ans il va peindre jusqu’à se lasser, puis changer de medium. « J’avais envie de travailler avec mes mains, cela me semblait plus naturel que de continuer encore et encore avec de la peinture à l’huile. » Il va trouver son bonheur dans l’argile, en la modelant à l’envi, utilisant l’émail pour venir apposer de nouvelles couleurs, ou la laissant brute, pour rendre cette matière plus rugueuse encore. Par le biais de petites sculptures, de vases ou d’urnes, il va ainsi ouvrir le champ de tous les possibles, et son travail les portes des galeries comme celles de l’appartement privé des Obama à la Maison Blanche : « C’était une commande de leur décorateur, Michael Smith » que l’on apercevra de temps en temps sur les photos officielles du couple présidentiel. Et puis il y aura la rencontre, en 2015, avec Jonny Johansson, le fondateur de la marque de vêtements Acne Studios. Ce dernier va s’enticher du travail de Peter Schlesinger au point de sortir une collection capsule de pyjamas pour laquelle l’artiste accepte de reprendre son pinceau et de peindre quelques motifs. Il fera aussi éditer une monographie de son oeuvre, sur le plus beau des papiers japonais.
De muse à artiste exposé pour les photos qu’il a prises durant son histoire avec Hockney et qui témoignent du milieu artistique de cette époque, Peter Schlesinger est désormais considéré comme un artiste à part entière. Et rares sont ceux qui savent aujourd’hui qu’il est cette silhouette nommée Peter sur les cartels de l’oeuvre de l’un des plus grands artistes du xxe siècle. Peter Schlesinger n’a plus rien à voir avec ce Peter-là.