Un Vénitien nommé Zecchin
Entre Sécession viennoise et fascination pour l’Orient, Vittorio Zecchin a exploré la peinture et les arts décoratifs. Maître incontesté de l’Art nouveau vénitien, il fait de nouveau sensation.
Le 22 novembre 2017 à Paris, Sotheby’s adjugeait 681 000 € la Madonna e Quattro Evangelisti, tableau de Vittorio Zecchin estimé entre 40 000 et 60 000 €. Acheté au début des années 2010 par le décorateur Jacques Grange, dont on dispersait la collection ce soir-là, il avait un pedigree en or. Ce fut la plus haute enchère jamais décrochée par Zecchin. « Je n’avais jamais entendu parler de lui avant qu’on me propose ce tableau », confesse Jacques Grange.
« J’ai été immédiatement séduit. Cela rappelait Klimt et les mosaïques de Ravenne. Je l’ai installé chez moi sous une icône russe, en regard d’un tableau de Sérusier. » →
sont effectivement la source de l’art de Zecchin. Le maître de la Sécession viennoise expose à la 9e Biennale de Venise en 1910. C’est un choc pour ce fils de verrier de Murano né en 1878, ex-élève des Beaux-Arts de Venise, qui a délaissé les pinceaux. Il recommence à peindre, dans un style entre pointillisme et géométrie, en couleurs vives rehaussées d’or. Il livre entre autres un décor de 30 mètres de long en 1914 pour la salle à manger de l’Hôtel Terminus du Lido : Les Mille et Une Nuits, inspiré de la légende d’Aladin. Pour l’Art nouveau italien, appelé style Liberty en référence au grand magasin de Londres, Venise est un terrain fertile. Cette porte vers l’Orient voit éclore les talents de Mariano Fortuny et Umberto Bellotto. Mais Vittorio Zecchin domine sa génération. Il ne met pas de frontières entre art et arts décoratifs, crée des tapisseries et des meubles, aujourd’hui, hélas, encore plus introuvables que ses tableaux. Il a le verre dans le sang. Avec le verrier Giuseppe Barovier, il réalise des pièces extraordinaires, figuratives ou abstraites, disposant lui-même les murines avant passage au four, ornant les vases au pinceau de couleurs et d’or. Directeur artistique de Cappellin-Venini en 1921, il invente la verrerie vénitienne moderne : des formes soufflées épurées aux couleurs de pierres précieuses, qui triomphent à l’exposition des Arts décoratifs de Paris en 1925. Jusqu’à sa mort en 1947, Zecchin collabore avec plusieurs verriers, Ferro-Toso en 1930, AVEM en 1932-1933, SALIR entre 1932 et 1938 et Barovier-Seguso-Ferro en 1938.
Une cote en hausse
« Le verre est de plus en plus prisé par des collectionneurs internationaux. Ce sont principalement les amateurs de design qui recherchent ses pièces épurées en verre soufflé », précise le président de Piasa, Frédéric Chambre. Lors d’une de ses ventes, en novembre 2017, un modèle de 1921 pour Venini, d’un bleu impalpable, s’est envolé à 22 100 € pour une estimation haute de 4 000 €. Les pièces plus rares de Zecchin atteignent les prix de ses tableaux. En 2016 chez Sotheby’s New York, un vase ajouré, pièce unique de 1935 réalisée par SALIR, a décroché 247 500 €. Il appartenait au grand collectionneur vénitien Francesco Carraro, qui possédait aussi la Madone de Jacques Grange et le fragment des Mille et Une Nuits du musée d’Orsay, vedette en 2015 de l’exposition Dolce Vita sur le mouvement Liberty. Alessandro Pron, directeur de la galerie italienne à Paris, a vendu ces deux oeuvres. Il conserve jalousement une mosaïque de 1930, de superbes Rois mages bleus et or réalisés pour Zecchin par la Coopérative des mosaïstes vénitiens. Il a refusé, il y a peu, de la céder pour 150 000 €. « Soixante-dix ans après sa mort, Zechhin commence à être connu et reconnu. Sa cote monte beaucoup. Les collectionneurs s’aperçoivent que le rapport qualité-prix de ses oeuvres uniques est encore excellent. »
À lire : Vittorio Zecchin 1921-1926. I vetri trasparenti per Cappellin e Venini, par Marino Barovier, éditions Skira, 2017, 471 p., 92 €.