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Pierre Sabatier, l’alchimiste du métal

Il a habillé de fonte, d’inox ou de cuivre l’architectu­re des Trente Glorieuses. Aujourd’hui, ses décors monumentau­x suscitent un fort regain d’intérêt.

- Axelle Corty

Il a habillé de fonte, d’inox et de cuivre l’architectu­re des Trente Glorieuses.

On le redécouvre aujourd’hui.

Monumental, cuivré, froissé, il n’est pas passé inaperçu sur le stand de la Magen H. Gallery de New York, en surplomb d’un monacal mobilier de Pierre Chapo. C’était en juin dernier à la foire de Bâle. Au vernissage, les beautiful people se faisaient photograph­ier devant ce lingot géant, fragment d’un décor intitulé Golden Grotto. Le Jimmy’z, mythique night-club monégasque, l’avait commandé en 1998 à Pierre Sabatier (1925-2002). Pour le fabriquer, l’artiste avait mis en oeuvre une technique de son cru.

« Il a fait tomber de gros rochers sur les tôles », explique, en souriant, son fils Damien Sabatier.

Dans son atelier d’Aurouër, en bordure de forêt avec l’Allier pour voisin, Pierre Sabatier a cultivé ses techniques de titan. Dans cet immense espace peuplé de minéraux et de coquillage­s, l’homme, un masque sur le visage, s’attelait aux plaques de métal qu’il découpait au chalumeau, travaillai­t à l’acide ou aux oxydes, et ornait de métaux précieux. Les essais d’assemblage de ses décors gigantesqu­es s’effectuaie­nt dans la campagne avec une dizaine d’assistants, avant expédition en semi-remorque vers leurs lieux d’installati­on. « Il a toujours eu un goût pour le monumental. Il admirait l’art égyptien et assyrien. Il préférait concevoir un environnem­ent plutôt qu’accrocher un tableau sur un mur, c’est pour ça qu’il a appris l’art de la fresque aux Beaux-Arts et aux Arts Décoratifs », se souvient son épouse,

Barbara Gaiser.

La mise en place du 1 % culturel en 1951 lui offre un passeport pour le monumental. Cette loi stipule que 1 % des sommes consacrées par l’État à chaque constructi­on publique doit financer la réalisatio­n d’une oeuvre d’art in situ. Sa carrière connaît un essor →

décisif en 1967, quand les Jeux olympiques d’hiver de 1968 se profilent à Grenoble. La ville voit grand pour sa nouvelle mairie. Sabatier travaille auprès de l’architecte Maurice Novarina et de l’architecte d’intérieur Joseph-André Motte. Il crée des sculptures et claustras en laiton ajouré et étain pour la salle des mariages et un panneau mural en laiton oxydé, repoussé et ouvragé pour une salle de réception. Motte apprécie tant son travail qu’il lui commande le décor de son propre bureau. À la Défense, pour la tour Aquitaine, avec les architctes Luc et Xavier Arsène-Henry et l’architecte d’intérieur Denis Voisin, il livre un hall d’accueil en cuivre martelé et oxydé aux rougeoieme­nts de lave. En 1972, il gagne le concours de façade éphémère lancé pour la sortie du parfum Audace de Rochas. Sa structure ondoyante, éclairée la nuit, qui reste finalement des années en place rue François-Ier. La maquette est aujourd’hui dans les collection­s du Centre Pompidou.

S’il a aussi travaillé la céramique et le béton projeté, le métal demeure le matériau de prédilecti­on de Pierre Sabatier, celui qui se prête le mieux à ses métamorpho­ses. Passionné d’astronomie, de géologie et de volcanolog­ie, il le transforme en matière mouvante en perpétuell­e fermentati­on. Son univers rappelle celui du dessinateu­r de bande dessinée Philippe Druillet, dont il admire le travail. « Pierre incarne le versant pychédéliq­ue de l’achitecure intérieure des Trente Glorieuses », estime Barbara Gaiser. Ce qui ne l’empêche pas de séduire les plus élégants esthètes, Joseph-André Motte hier, Chahan Minassian ou Yves Gastou aujourd’hui. Norman Foster a acheté son décor de la tour Aquitaine pour sa future tour Comcast, à Philadelph­ie.

À la fin de sa vie, après avoir essaimé ses oeuvres du Canada à l’Iran, Pierre Sabatier s’est attelé à transforme­r le paysage entourant son atelier.

Il a creusé un étang surplombé d’un immense nid de tubes de métal qui tintent au vent. Pour leur répondre, il a planté sur les rives des peupliers argentés dont les feuilles bruissent au moindre souffle.

Le titan était aussi poète.

 ??  ?? 3. SCULPTURE murale en laiton galbé et oxydé pour la caserne de Versailles-Satory, en 1979. 3
3. SCULPTURE murale en laiton galbé et oxydé pour la caserne de Versailles-Satory, en 1979. 3
 ??  ?? 2. TOTEMS en laiton embouti et oxydé pour le Jimmy’z, à Monaco, en 1998. 2
2. TOTEMS en laiton embouti et oxydé pour le Jimmy’z, à Monaco, en 1998. 2
 ??  ?? 1. PIERRE SABATIER dans son atelier parisien, boulevard Raspail, circa 1960. 1
1. PIERRE SABATIER dans son atelier parisien, boulevard Raspail, circa 1960. 1
 ??  ?? 1. FRESQUE murale en étain sur inox dans la salle des mariages de l’hôtel de ville du Grand- Quevilly, en 1975. 1
1. FRESQUE murale en étain sur inox dans la salle des mariages de l’hôtel de ville du Grand- Quevilly, en 1975. 1
 ??  ?? 3. FACADE en tubes de PVC du siège social des Parfums Rochas, à Paris, en 1974. 3
3. FACADE en tubes de PVC du siège social des Parfums Rochas, à Paris, en 1974. 3
 ??  ?? 2. TABLE basseSan Andreas en acier corrodé et oxydé, en 1990. 2
2. TABLE basseSan Andreas en acier corrodé et oxydé, en 1990. 2
 ??  ?? 4. SCULPTURE murale en fonte d’aluminium, dans le hall de l’Hôtel du départemen­t à Dijon, en 1983. 4
4. SCULPTURE murale en fonte d’aluminium, dans le hall de l’Hôtel du départemen­t à Dijon, en 1983. 4

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