Jeux de matières modernistes
Avec rigueur et poésie, l’agence Studio KO fait la part belle aux matériaux bruts et précieux dans cet appartement donnant sur les colonnades du Palais Bourbon.
Dans un appartement situé face au Palais Bourbon, l’agence Studio KO a fait la part belle aux matériaux bruts et précieux.
Place du Palais-Bourbon. L’adresse est mythique, l’appartement tout autant. Agencé au début des années 1990 dans un esprit orientaliste par le très flamboyant décorateur américain Tony Duquette pour les besoins du couple de milliardaires fantasques John et Dodie Rosekrans, les lieux, reproduits dans moult ouvrages de référence, avaient acquis le statut de décor culte. « L’ambiance était franchement rococo, très scintillante, se souviennent Karl Fournier et Olivier Marty, fondateurs de Studio KO, en charge de l’actuelle rénovation. Le nouveau propriétaire souhaitait, certes, garder trace de ces brillances passées, mais il ne se voyait pas vivre dans un lieu relevant du mausolée. Il désirait faire entrer dans l’appartement la vie, l’énergie du présent et des vues sur l’extérieur. »
Afin de jouer avec les vibrations de la lumière et refléter les élements architecturaux de la place comme le vert des feuilles aux branches des marronniers, le tandem a disposé des miroirs dans l’embrasement des fenêtres et sur les portes encastrées, dans la profondeur des murs. « Ça brouille les repères, apporte magie et étrangeté aux lieux. » Un claustra et des cimaises en laiton parachèvent l’esprit glitter du décor. Collectionneur d’art, le maître de maison voulait un cadre à même d’accueillir ses oeuvres signées Johan Creten ou Robert Courtright. « Les pièces font des allers-retours entre son appartement et sa résidence secondaire, il aime les déplacer, en changer, nous avons donc développé un principe de cimaises courant tout du long des murs de l’appartement, qui permet d’accrocher les toiles sans avoir à percer les murs. » L’homme ayant également le Brésil pour passion, les décorateurs ont composé des sols en palissandre, placé des fauteuils du designer Joaquim Tenreiro et des perroquets naturalisés dans la salle à manger. La banquette de la cuisine renvoie, elle, aux brasseries parisiennes, quand le grand bureau
de Rick Owens apporte une touche brutaliste. « On trouve ici plein de collages de références qui, davantage que par l’usage d’objets culte, sont suggérées par des jeux de matières : des miroirs, du marmorino, des calepinages de bois exotiques... »
Éluder tout formalisme
C’est une constante dans les projets de Karl Fournier et Olivier Mary que d’humaniser des intérieurs modernistes, parfois même minimalistes, par l’usage de matériaux artisanaux. Si le tandem, basé entre Marrakech, Paris et Londres, doit son image trendy à des réalisations comme l’hôtel Chiltern Firehouse, dans une ancienne caserne londonienne, ou la rénovation de suites du mythique Chateau Marmont, à Los Angeles, c’est en édifiant des maisons contemporaines au milieu de paysages désertiques, portées par une volonté de faire corps avec leur environnement, qu’il a acquis sa véritable notoriété. « Le Maroc nous a permis d’accéder à la commande architecturale, vite et jeunes. Cela n’aurait pas été possible en France. Et, comme dans ce pays la construction passe par des techniques et des matériaux artisanaux, cela a défini notre sensibilité. » Architecte autant que décorateur, le duo, qui s’est formé sur les bancs de l’école des Beaux-Arts de Paris, envisage toujours ses agencements intérieurs dans une démarche architecturale. L’appartement de la place du Palais-Bourbon séduit par la fluidité de ses circulations et son traitement déstructuré des espaces. Pas de portes entre la salle de bains, le couloir et la chambre sur l’arrière de l’appartement. De même, les pièces de réception, dotées de portes encastrées dans les parois des murs, semblent ne faire qu’une. Afin d’éluder un esprit trop formel, la table de la salle à manger est décentrée dans la pièce, disposée à la façon d’une console, les repas se prenant au quotidien dans la cuisine.
« Cet intérieur reflète les goûts et le mode de vie de son occupant. C’est un lieu résolument masculin, un projet sur mesure. »