Épure berbère
Au sud de Marrakech, Karl Fournier et Olivier Marty, les architectes fondateurs de Studio KO, ont entièrement rebâti une ferme marocaine traditionnelle, y réinsufflant charme et douceur de vivre.
Sur les contreforts du Haut Atlas, les architectes de Studio KO ont entièrement reconstruit une ferme traditionnelle, y insufflant charme et douceur de vivre.
Pas de réseau, pas de téléphone ni même de connexion Internet. Pas d’autres bruits que le bêlements des chèvres dans les collines et, aux aurores, le chant du coq des fermes voisines. « Nous sommes à 30 kilomètres de l’aéroport de Marrakech et pourtant loin, très loin du monde moderne. Ici on lit, on fait des balades, on peut même travailler en paix sans être dérangé », assurent en coeur Karl Fournier et Olivier Marty, les deux fondateurs de Studio KO, tombés sous le charme d’une ferme traditionnelle marocaine entre champs d’oliviers et oasis de palmiers, au coeur d’un village surplombant le paysage de monts arides des prémices du désert d’Agafay. « Les paysans qui y vivaient retournant dans le Sahara, nous avons racheté la maison dans l’idée de la restaurer mais il s’est vite avéré qu’il fallait intégralement la reconstruire. Nous tenions à le concevoir dans le respect des techniques berbères ancestrales : les murs sont en pisé, les plafonds en poutres de bois de palmier et joncs d’eucalyptus. Rien que des savoir-faire et des matériaux locaux. L’idée était de travailler avec des gens qui maîtrisent encore ces pratiques en voie de disparition. » Internationalisation et urbanisation obligent, les constructions sont désormais souvent réalisées en parpaing au Maroc. Plus fragiles, mais épais, les murs de terre à l’ancienne offrent pourtant des qualités isolantes adaptées au climat local, permettant de garder la fraîcheur l’été et de protéger du froid l’hiver venu. Autre spécificité régionale, les bâtiments de la ferme sont organisés autour de cours et de jardins, on en compte désormais cinq de tailles différentes, et peu de fenêtres donnent sur l’extérieur afin de préserver l’intimité des habitants. Mais si les Marocains ont pour coutume de vivre dans une seule et même pièce – dont l’usage évolue au fil de la journée, la chambre se muant en salon par l’entremise de couchages devenus banquettes –, Karl Fournier et Olivier Marty ont pris le parti de dessiner un plan à l’occidentale. La maison dispose donc de six chambres placées dans ce que furent autrefois des granges et des étables. « Au départ nous pensions équiper chaque chambre de sa propre salle de bains, mais il fut très vite évident
Murs en pisé, poutres en troncs de palmiers… la maison respecte les techniques traditionnelles.
que la consommation en eau serait trop importante pour le village. Nous avons donc opté pour un hammam collectif traditionnel, chauffé au feu de bois. » Dans sa conception même, la maison tisse des ponts entre tradition maghrébine et mode de vie occidental : pas de salle à manger fixe, des tables sont dressées en fonction des saisons, des heures et des envies au gré des cours, pergolas, jardins et salons. « La culture berbère a toujours eu une grosse influence sur notre architecture. À la différence des constructions islamiques plus opulentes – tout en arcs, coupoles et mosaïques –, les maisons berbères tendent au minimalisme. »
Matériaux naturels
À peine avaient-ils créé leur agence à Paris, en 2000, que Karl Fournier et Olivier Marty, lançaient Studio KO Marrakech. Désormais internationalement reconnus à travers des réalisations comme l’hôtel Chiltern Firehouse de Londres ou le musée Yves Saint Laurent de Marrakech, ils se firent pourtant remarquer à leurs débuts en concevant des maisons très graphiques, trop vite cataloguées « maisons du désert ». On retrouve leur goût de l’épure et des matériaux naturels dans l’agencement intérieur de la ferme. Les meubles et les objets donnent l’impression d’avoir été présents de tout temps. Bureau chiné aux puces de Marrakech, chaises en vannerie d’Essaouira, tables en branchages réalisées par l’écrivain Umberto Pasti à Tanger, relèvent d’une érudite sélection. « Au Maroc, les maisons comptent peu de meubles. Les objets, les livres et même les vêtements sont rangés dans des niches, voire posés sur la tablette des cheminées. Nous avons donc eu l’idée de cheminées au dessin en escalier permettant de disposer ses biens personnels dans certaines chambres. »
Tous les ans l’endroit se mue un mois durant en résidence d’artiste. Le réalisateur El Mehdi Azzam y est venu rédiger un scénario et les designers Guillaume Garnier et Florent Linker y dessineront leurs prochaine collection. « L’ambiance demeure austère, le décor dépouillé, le confort assez spartiate, mais vivre ici ne relève pas du sacerdoce, s’amusent les architectes. Le luxe consiste pour nous a pouvoir manger les fruits et les légumes de notre potager. Nous allons même bientôt avoir une vache pour le lait et des poules pour les oeufs. »
L’architecture dépouillée répond à l’austérité des paysages du Haut Atlas.