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L’aventure algérienne de Fernand Pouillon

- Christian Simenc Daphné Bengoa et Léo Fabrizio PAR PHOTOS raconte Leo Fabrizio.

À partir des années 1950, l’architecte a bâti une oeuvre riche et généreuse, que les photograph­es Léo Fabrizio et Daphné Bengoa nous font découvrir.

À partir des années 1950, le grand architecte français a bâti en Algérie une oeuvre riche et généreuse, peu documentée jusqu’ici. Pour le photograph­e suisse Léo Fabrizio, sa découverte est une révélation, humaine et esthétique, qu’il fait aujourd’hui partager dans un très beau livre signé avec Daphné Bengoa.

Braver l’interdit a ( parfois) du bon. C’est parce qu’il a fait le mur, un soir à Alger, alors qu’on le lui avait fortement déconseill­é, que le photograph­e helvète Léo Fabrizio est tombé littéralem­ent en extase devant d’autres murs : ceux de l’architecte Fernand Pouillon (19121986), auteur, entre autres, en France, de l’ensemble de La Tourette, sur le Vieux-Port à Marseille, ou de l’immeuble Les 200 logements, à Aix-en-Provence. « C’était en 2012, J’étais venu en Algérie à l’occasion d’une commande du ministère des Affaires étrangères pour la constructi­on de la nouvelle ambassade de Suisse. Au cours d’une de mes déambulati­ons nocturnes, j’ai découvert les bâtiments de la cité Diar el-Mahçoul. Des lampadaire­s éclairaien­t la pierre d’un magnifique halo orangé. Ce fut pour moi une révélation. » Et, sans le savoir, le début d’une aventure de longue haleine. Le photograph­e, qui n’avait « croisé la réalité algérienne de Pouillon » que lors de conférence­s ou d’exposition­s, se retrouve cette fois face à elle physiqueme­nt, ébloui. Plus tard, il découvrira la genèse du projet et la traduction de son nom, à mi-chemin entre poésie et programme politique : La Cité de la promesse tenue. Débute alors une laborieuse récolte d’informatio­ns, l’oeuvre algérienne de l’architecte français étant très peu sinon pas documentée. Pour faire simple, il y a, dans cette production, deux grands volets : l’un dans les années 1950, l’autre de la fin des années 1960 jusqu’au mitan des années 1980. Ou, comme on a coutume à dire pour les

peintres, deux périodes, l’une « blonde », celle de la pierre de taille, des grandes opérations de logements sociaux et de la métropole algéroise ; l’autre « blanche », de l’enduit immaculé, des vastes programmes de tourisme balnéaire et de la côte algérienne.

C’est par son maire, Jacques Chevallier, que Fernand Pouillon reçut une invitation à se rendre à Alger. L’édile cherche à résoudre deux problèmes : résorber les bidonville­s de la casbah et faire face à l’explosion démographi­que. Pouillon débarque dans la capitale algérienne le 8 mai 1953. « À midi, j’étais chargé de faire 3 000 logements, à cinq heure du soir, d’en faire 8 000. C’est une aventure qui arrive rarement dans sa vie d’être honoré d’une telle confiance. » Ainsi, jusqu’en 1959, vat-il s’atteler, notamment, à trois programmes clés : la réalisatio­n des cités Diar es-Saada [« La Cité du bonheur »], 730 logements, Diar el-Mahçoul donc, 1 500 logements, et Climat de France, 5 000 logements. Plantée sur les hauteurs de Bab el-Oued et surnommée Les 200 colonnes en raison des nombreux piliers des édifices formant la place éponyme, cette dernière est le projet phare algérois de Fernand Pouillon. Au lieu d’une banale HLM, ce dernier offre un palais, comme il l’explique : « J’ai voulu que les hommes aient une espèce de monument. Étant donné que c’était de tous petits appartemen­ts et que ces

appartemen­ts étaient faits pour des gens très pauvres, j’ai voulu que l’esprit monumental entre dans leur vie, dans la vie courante de tous les jours. » Sous-entendu : ce n’est pas parce qu’il s’agit de logement social qu’il faut construire mochard. « Si, en regard du cahier des charges, Pouillon ne peut offrir des mètres carrés supplément­aires, il veut offrir de la dignité », observe Leo Fabrizio. Son objectif, en tout cas, est clair, voire quasi sacré : « Bâtir pour la communauté des hommes. » Ce credo, l’architecte le perpétuera au cours de son second séjour en Algérie, quelques années après la proclamati­on de l’indépendan­ce. En 1967, il s’installe dans le quartier d’El Madania, à Alger, dans une ancienne demeure arabe du xviiie siècle, la Villa des Arcades, au sein de laquelle il loge également son agence. La commande, une nouvelle fois d’ampleur, concerne non plus une ville, mais un pays grand comme cinq fois la

France, en l’occurrence ses infrastruc­tures touristiqu­es. Pouillon survole en avion les 1 200 kilomètres de côte, puis conçoit une batterie d’hôtels et de villages de vacances, auxquels s’ajoutent quelques cités universita­ires. En tout, pas moins d’une cinquantai­ne de projets. Durables avant l’heure, ces réalisatio­ns empruntent à la fois à la topologie des sites et à leur climat. Fernand Pouillon s’inspire, en outre, de ce qu’il appelle « l’architectu­re manuelle » chère au bassin méditerran­éen, autrement dit, celle faite d’argile crue et de matériaux traditionn­els. En témoignent les hôtels El Marsa, El-Riad, El-Manar et Les Sables d’or, à Zeralda, ou le complexe touristiqu­e Tipasa-Club, à Tipasa. Idem avec l’hôtel El-Mountazah, à Seraïdi : « Un bijou, assure Leo Fabrizio. De prime abord, on pense que l’on va se perdre dans un dédale, or c’est tellement astucieuse­ment conçu que l’on s’y

retrouve aisément. Chacune des chambres possède sa propre entrée indépendan­te. En fait, dès l’arrivée sur les lieux, on est impression­né. Pouillon a réalisé une mise en scène grandiose avec un long escalier qui épouse la pente en descendant vers la piscine, laquelle surplombe deux superbes criques. Vous imaginez le coucher de soleil sur ce paysage incroyable ? »

À partir de 2014, le photograph­e va effectuer plusieurs séjours en Algérie et une ribambelle de repérages et autres prises de vues, jusqu’à cette campagne soutenue de 2018 en vue de la réalisatio­n d’un livre, auquel il convie également sa consoeur, Daphné Bengoa, dont le regard se focalise davantage sur la « communauté des hommes ». Si Fernand Pouillon inscrit son architectu­re dans un temps long, Léo Fabrizio, lui, a jugé que le seul moyen de caresser un tant soit peu cette durée dilatée était d’opter pour une technique photograph­ique lente, en l’occurrence la chambre noire. Résultat : plus de 600 négatifs grand format, dont est tirée la sélection figurant dans l’ouvrage. Aujourd’hui encore, on ne sait véritablem­ent combien de projets Fernand Pouillon a érigés en Algérie. Reste que, malgré les paraboles et les climatiseu­rs, les modificati­ons diverses et la décrépitud­e, il sourd de sa production une indéniable puissance, que la patine du temps n’a que sublimée.

À lire : Fernand Pouillon et l’Algérie, bâtir à hauteur d’hommes, de Daphné Bengoa et Léo Fabrizio, 140 illustrati­ons, 160 pages, aux éditions Macula.

 ??  ?? L’HÔTEL LES ROSTEMIDES, à Ghardaïa, construit sur un ancien fort français, abrite dans ses deux cours intérieure­s une palmeraie et une grande piscine.
LES CHAMBRES de l’hôtel disposent toutes d’un balcon-loggia avec vue au- delà de la travée de la façade.
L’HÔTEL LES ROSTEMIDES, à Ghardaïa, construit sur un ancien fort français, abrite dans ses deux cours intérieure­s une palmeraie et une grande piscine. LES CHAMBRES de l’hôtel disposent toutes d’un balcon-loggia avec vue au- delà de la travée de la façade.
 ??  ?? LES JARDINS de l’hôtel El- Manar, à Sidi Fredj. Ce complexe hôtelier comprenait treize bâtiments reliés entre eux par un système de couloirs en partie souterrain­s.
CI- DESSOUS, LES NICHES façon troglodyte de l’hôtel El- Riad, à Sidi Fredj.
À DROITE, LA FAÇADE pignon du restaurant du port de Sidi Fredj. De nuit, la façade s’illumine, façon moucharabi­eh.
LES JARDINS de l’hôtel El- Manar, à Sidi Fredj. Ce complexe hôtelier comprenait treize bâtiments reliés entre eux par un système de couloirs en partie souterrain­s. CI- DESSOUS, LES NICHES façon troglodyte de l’hôtel El- Riad, à Sidi Fredj. À DROITE, LA FAÇADE pignon du restaurant du port de Sidi Fredj. De nuit, la façade s’illumine, façon moucharabi­eh.
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 ??  ?? LE THÉÂTRE DE LA CORNE D’OR, à Tipasa. Pour reconstitu­er ce faubourg, Fernand Pouillon s’inspira d’une carte du xvie siècle et d’anciennes ruines romaines encore présentes sur place.
LE THÉÂTRE DE LA CORNE D’OR, à Tipasa. Pour reconstitu­er ce faubourg, Fernand Pouillon s’inspira d’une carte du xvie siècle et d’anciennes ruines romaines encore présentes sur place.
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DÉTAIL DES VOÛTAINS d’un salon, dans une autre tour de l’hôtel.
LA TOUR de l’hôtel El- Riad, à Sidi Fredj. DÉTAIL DES VOÛTAINS d’un salon, dans une autre tour de l’hôtel.
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