Ode à la lumière
Comme un pied de nez à la réputation météorologique du plat pays, l’architecte d’intérieur Pierre Yovanovitch célèbre la clarté du jour sous toutes ses formes dans cette rénovation d’un hôtel particulier aux volumes largement 0uverts sur l’extérieur.
À Bruxelles, l’architecte d’intérieur Pierre Yovanovitch célèbre la clarté du jour sous toutes ses formes dans la rénovation d’un hôtel particulier.
La verdure, la lumière qui embrasse l’espace même les jours de ciel bas du plat pays ne laissent pas le visiteur insensible. C’est le quartier le plus élégant de Bruxelles, celui des étangs d’Ixelles, entre la place Flagey et l’abbaye de la Cambre. Pierre Yovanovitch s’y est promené un beau matin pour visiter une maison. En réalité, d’anciens bureaux que les nouveaux propriétaires souhaitaient transformer en lieu d’habitation pour leur famille de quatre enfants. Un vrai défi pour l’architecte d’intérieur, qui n’en est pas à ses débuts en Belgique : il y a signé plusieurs demeures particulières et la transformation de la fameuse patinoire royale en gigantesque galerie d’art contemporain. Sa vision très épurée, mais non dépourvue d’une vraie sensualité, sa proximité avec les artisans et les matières ont prouvé que cet homme ne se limite pas au chic du vide. Si, lors d’une rencontre, il peut avoir la beauté et la retenue intimidantes, on sent poindre très vite l’humour ; il suffit de se rappeler son intérieur intitulé L’érotomanie de Mademoiselle Oops dans le cadre du festival Design Parade Toulon 2018 ou, cet automne, la série de trente meubles Love qui racontent l’amour, dessinée pour son solo show à la galerie R & Company à New York.
Un escalier spectaculaire
Blague à part, ici, pour ce chantier, il a fallu trois ans de travaux. Si la façade a été conservée, l’arrière a été totalement modifié et l’intérieur entièrement repensé. Pour celui qui dévore les livres d’architecture comme d’autres les romans policiers, ce fut comme un jeu d’enfant. Au centre, un grand escalier surmonté d’une verrière en verre soufflé dont le dessin change à mesure que l’on gravit les marches. « J’adore dessiner les escaliers, explique Pierre Yovanovitch. Je les dessine à la main et non à l’ordinateur. Un dessin à main levée permet de rêver, de s’y projeter bien mieux qu’un dessin d’écran. » Il a conçu tous les volumes intérieurs, répartis sur cinq niveaux, après avoir laissé chaque membre de la famille s’exprimer sur sa manière de vivre, dans une belle relation de confiance. Et il a répondu à leurs souhaits : une grande cuisine « family room » donnant sur le jardin pour madame et les garçons, un vrai bar d’homme sombre au premier étage pour monsieur. Comme toujours, ses fidèles artistes et artisans sont au rendez-vous pour réaliser tous les meubles ou effets voulus : Armelle Benoit pour les tables basses et la crédence de la cuisine, Steve Richard pour le métal patiné qui décore la salle à manger, Mériguet-Carrère pour les peintures subtiles, les Ateliers Bataillard pour les poignées et les crémones en fer forgé créées spécialement pour la maison, simples virgules sur le meneau des fenêtres. Autre ponctuation, les oeuvres d’art choisies avec passion par les propriétaires et mises en scène par l’architecte d’intérieur avec subtilité. Elles surgissent dans une niche, sur des stèles, au creux d’une alcôve dans la chambre. Elles jouent avec la lumière qui sculpte et traverse le bâtiment. Car la vedette, c’est elle, cette lumière naturelle qui donne vie à l’architecture. Une obsession pour ce natif de Nice. Sur l’arrière, dans la cuisine pièce à vivre, il a carrément créé une énorme baie vitrée sur le jardin : elle donne l’impression que la végétation pénètre dans l’espace à la verticale. Ailleurs, ce sera l’arrondi immaculé d’un haut panneau de cheminée sur le fond bleu sombre d’une pièce, ou bien, au centre même de la maison, le reflet du ciel sur le vitrail de la verrière qui éclabousse tout l’espace. C’est elle qui module au fil des heures les pièces, jamais trop encombrées, des intérieurs de Pierre Yovanovitch, elle qui, avec les volumes, donne ici cette vibration, ce supplément d’émotion.
À lire Pierre Yovanovitch, de Pierre Yovanovitch, Olivier Gabet, Claire Tabouret, aux éditions Rizzoli, 2019, 336 pages.
Du grand escalier à la cheminée, le dessin à main levée, sûr et inspiré, de Pierre Yovanovitch.
L’épure du chêne brut et du travertin exalte la sensualité du mobilier années 1950.