Grand Siècle revisité
Au coeur du Marais, le duo Lecoadic-Scotto ressuscite le charme du xviie siècle au Cour des Vosges, nouvel hôtel articulé autour de suites exclusives, en y faisant souffler un air seventies.
Dans le Marais, le duo de décorateurs Lecoadic-Scotto ressuscite le charme du xviie siècle dans le nouvel hôtel Cour des Vosges.
Derrière les fenêtres aux vitres en verre soufflé à l’ancienne, on peut admirer la plus ancienne des places parisiennes, longtemps nommée place Royale. Il émane une douce solennité de cette perspective d’immeubles à arcades et façades de brique rouge à chaînage de pierre blanche. Au numéro 19, en ce qui jadis fut l’hôtel de Montbrun, le temps semble également suspendu. Une délicate lumière filtrée par de lourds rideaux caresse des tapisseries abstraites, fait vibrer l’Inox de baldaquins modernistes, anime la surface des paravents striés à la Pierre Soulage… Des objets singuliers ! Les tonalités gris bleu, blanc craie, ocre rouge insufflent une indéniable volupté à l’endroit. « La gamme de couleurs découle des frises peintes sur les poutres d’origine des plafonds du premier étage, seuls éléments historiques ayant traversé le temps », confient en coeur Yann Le Coadic et Alessandro Scotto, en charge de la transformation de cet immeuble de bureaux et d’habitations en une résidence hôtelière d’un nouveau genre.
Réputé pour l’élégance discrète et raffinée de ses projets, tant résidentiels que commerciaux, le duo franco-italien rend ici hommage à un style quelque peu tombé en désuétude, celui du Grand Siècle. « Le xviie ayant été balayé du paysage de l’architecture parisienne par le baron Haussmann, nous avons passé beaucoup de temps entre musées et bibliothèques à effectuer des recherches afin de redonner ses lettres de noblesse au bâtiment. » À une restitution teintée d’historicisme, les décorateurs ont préféré une relecture graphique et stylisée d’éléments du passé. Les portes à médaillons optent donc pour un dessin contemporain quand les lampadaires en fer forgé s’inspirent de candélabres. L’immeuble sur deux étages étant classé au titre des monuments historiques, les Bâtiments de France proscrivent tout cloisonnement des espaces : l’hôtel n’accueille donc que douze suites, chacune articulée autour d’alcôves en Inox, façon baldaquin, permettant de conserver les volumes d’origine de chaque pièce. « Lors de nos recherches, nous sommes tombés sur des documents des années 1960-70, dont des photos du magasin sur la place des Vosges de Maria Pergay et des
réalisations signées François Catroux ou Michel Boyer. Leurs réalisations cherchaient à moderniser des décors historiques à travers l’emploi de matériaux comme l’Inox nous ont inspiré les structures métalliques de nos lits “boîtes”. »
Dans une même volonté de confronter différents styles et époques, Yann Le Coadic et Alessandro Scotto juxtaposent petits canapés à la française, tables néo Art déco et bars ouverts en laque d’esprit seventies.
« Nous ne souhaitions pas définir une trop grande cohérence de style au sein même du mobilier que nous avons dessiné, l’idée étant de suggérer une maison de famille où les meubles se seraient accumulés au fils du temps et des générations. »
À des créations exclusives aux lignes épurées, les décorateurs ont adjoint l’élégant chahut d’objets vintage chinés entre puces, ventes aux enchères et galeries. « La clientèle des établissements de luxe a beaucoup évolué ces dernières années, elle s’est également segmentée, explique Emmanuel Sauvage, directeur général du groupe Evok, à l’origine de cette ouverture. Le Cour des Vosges est destiné à un public cultivé, sensible à une certaine atmosphère. Nous avons été jusqu’à disposer de vieux magazines dans les chambres pour souligner l’intemporalité du cadre. » Outre sa décoration en rupture, l’établissement insuffle également un certain renouveau par ses services. Le choix des suites s’opère lors de la réservation, le service en chambre s’effectue depuis des tablettes numériques. « Plus qu’un hôtel classique, nous souhaitions définir une forme de chambres d’hôtes de luxe », conclut Emmanuel Sauvage. Le Cour des Vosges renouvelle l’idée même d’hôtellerie de charme.