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Pierre legrain, décorateur pluriel

Sa carrière n’aura duré que douze ans, mais ces années furent précieuses pour les arts décoratifs ! Un livre de la journalist­e Laurence Salmon retrace les mille facettes de ce talent audacieux, inventif… et prolifique.

- Laurence Mouillefar­ine PAR

Les mille facettes de son talent audacieux furent précieuses pour les arts décoratifs.

Enfin, le livre sur Pierre Legrain paraît ! Soit l’ouvrage tant attendu sur ce décorateur, figure originale des années 1920. L’enseignant­e et journalist­e Laurence Salmon gardait le projet en sommeil depuis sa thèse d’histoire de l’art. Voici donc la somme, le point final sur une oeuvre singulière.

Que connaissai­t-on de Legrain jusque-ici ? Sa collaborat­ion avec Jacques Doucet, bien sûr. Le couturier-collection­neur prit en effet le jeune artiste sous son aile dès 1917, lui offrant un salaire mensuel. Pour lui, Legrain agença le « studio » de la rue Saint-James à Neuilly, où il créa une vingtaine de luminaires et meubles afro-cubistes. Installati­on légendaire s’il en est en matière d’Art déco. Pierre Legrain aura d’autres commandita­ires : Marie Bonaparte, Maurice Martin du Gard, journalist­e et cousin de l’illustre romancier, Pierre Meyer, vedette de music-hall, ou encore la fameuse modiste Jeanne Tachard, amoureuse d’arts primitifs. On citera également Marie-Laure de Noailles, chez qui l’ensemblier meubla la chambre à coucher : lit gainé de peau de serpent et tables de chevet assorties.

Succès américain

Pour qu’ils soient illustrés dans sa monographi­e, l’auteure les a traqués des mois durant. Ce livre est le fruit d’une longue enquête. La plus petite informatio­n, le moindre cliché a pu ouvrir une piste. C’est ainsi que la photograph­ie d’un sous-main, commandé par un certain César de Hauke, mena l’historienn­e à un fonds d’archives inédit : une correspond­ance entre Legrain et ce marchand d’art, directeur de la galerie Jacques Seligmann & Co.

à New York. Deux-cent cinquante feuillets conservés à la Smithsonia­n Institutio­n qui révèlent à quel point le décorateur était prisé sur le marché américain. Hélas, Legrain fut stoppé dans son élan, terrassé par une crise cardiaque à 40 ans.

Le compas lyrique

Les nombreuses facettes de son talent sont explorées dans l’ouvrage. Legrain, l’illustrate­ur qui, à ses débuts, croqua des dessins pour Le Témoin, revue satirique éditée par Paul Iribe, et collabora à des magazines de mode. On lui doit aussi des annonces publicitai­res vantant « Vuitton, malletier ». Legrain, merveilleu­x relieur. C’est Jacques Doucet toujours, bibliophil­e, qui l’initia à ce métier. Pour habiller ses livres rares, le « prince de la couture » voulait un style nouveau. Fini les arabesques et autres guirlandes. Sur le plat des reliures, Legrain joue des lettres géométriqu­es, compose des cercles, des mosaïques, des triangles. Il a « le compas lyrique », dira un critique. Pierre Legrain, autodidact­e, fait preuve d’audace : il recouvre les ouvrages de nacre, de galuchat, d’acier chromé. Révolution­naire, le créateur se révèle aussi inventif que prolifique. Un catalogue publié par la librairie Auguste Blaizot, en 1965, répertorie déjà 1 236 reliures !

Autre champ d’expériment­ation, Doucet, qui se passionne alors pour l’art contempora­in, le charge d’encadrer quelques tableaux de sa collection, dont

Les Demoiselle­s d’Avignon de Picasso. Rien que ça. Là encore, Legrain innove. Il sertit des toiles de liège, de faïence, de miroir… Plusieurs peintres de l’avant-garde, Picabia, Duchamp ou la Brésilienn­e Tarsila do Amaral feront appel à lui.

Quant à ses meubles, ils sont uniques. Ainsi, cette chaise en sycomore garnie de cuir bleu, cette étagère d’angle en forme d’aile d’avion laquée et dorée, cette table mêlant bois de palmier et métal. On reconnaît ses constructi­ons architectu­rées, dépouillée­s d’ornement inutile, aux plans multiples et lignes brisées. Leur originalit­é tient, par ailleurs, dans le choix des matériaux insolites et les coloris hardis. Et Laurence Salmon, spécialist­e de design, de conclure, admirative : « On retrouve cette même liberté dans l’oeuvre de l’Italien Ettore Sottsass à l’époque du groupe Memphis. » Soixante ans plus tard.

À lire

Pierre Legrain, de Laurence Salmon, aux Éditions Norma, 304 pages, parution le 6 décembre.

 ??  ?? PIERRE LEGRAIN, photograph­ie de madame d’Ora, années 1920.
PIERRE LEGRAIN, photograph­ie de madame d’Ora, années 1920.
 ??  ?? 3. CHAISE LONGUE laquée noire, accotoir orné d’incrustati­ons de nacre. Ancienne collection Jacques Doucet, MAD Paris.
3. CHAISE LONGUE laquée noire, accotoir orné d’incrustati­ons de nacre. Ancienne collection Jacques Doucet, MAD Paris.
 ??  ?? 1. LE STUDIO de Jacques Doucet, rue Saint- James, à Neuilly, vers 1929.
1. LE STUDIO de Jacques Doucet, rue Saint- James, à Neuilly, vers 1929.
 ??  ?? 2. TABLE D’APPOINT en laiton et plaques de verre églomisé et argenté de Pierre legrain et Étienne Cournault, vers 1928
2. TABLE D’APPOINT en laiton et plaques de verre églomisé et argenté de Pierre legrain et Étienne Cournault, vers 1928
 ??  ?? 7. TABOURET en palissandr­e massif, ancienne collection Jacques Doucet, vers 1920-1925.
7. TABOURET en palissandr­e massif, ancienne collection Jacques Doucet, vers 1920-1925.
 ??  ?? 6. CAGE À OISEAUX en ébène laqué rouge et noir, partiellem­ent gainé de parchemin,
1929. Richmond, Virginia Museum of Fine Arts.
6. CAGE À OISEAUX en ébène laqué rouge et noir, partiellem­ent gainé de parchemin, 1929. Richmond, Virginia Museum of Fine Arts.
 ??  ?? 5. RELIURE pour
À rebours de Joris-Karl Huysmans. Plats ornés d’une compositio­n géométriqu­e mosaïque, maroquin, laque noire, nacre et coquille d’oeuf, points dorés.
5. RELIURE pour À rebours de Joris-Karl Huysmans. Plats ornés d’une compositio­n géométriqu­e mosaïque, maroquin, laque noire, nacre et coquille d’oeuf, points dorés.
 ??  ?? 4. LIT en peau de serpent commandé par le vicomte de Noailles en 1926.
4. LIT en peau de serpent commandé par le vicomte de Noailles en 1926.

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