Le théâtre des couleurs
Dans la capitale toscane, l’architecte Massimo Adario s’est livré à de savantes associations de matières et de tonalités naturelles, et a puisé dans le meilleur du design du xxe siècle pour rafraîchir un appartement qui domine superbement l’Arno.
C’est un pont de Florence. Pas n’importe lequel : le Ponte Vecchio. À son extrémité, un immeuble 1950 qui appartenait à une célèbre compagnie d’assurance italienne. À son sommet, un appartement traversant déploie sur plus de 200 mètres carrés sa vue panoramique sur le fleuve et le pont. Invité à le rénover de fond en comble, l’architecte Massimo Adario s’est inspiré de l’existant, ne modifiant la structure que par touches : la création d’un couloir, d’une chambre supplémentaire… « J’ai préféré laisser parler cette architecture d’après-guerre et en conserver tout l’esprit à travers l’utilisation du bois de noyer, très sobre. J’ai évidemment agrandi des ouvertures existantes, inséré plus de marbre, mais j’ai finalement gardé pas mal de choses : la base y était. » L’architecte, s’il a introduit des arrondis et cassé les lignes à certains endroits, a en effet privilégié les ouvertures, utilisé la structure élancée des portes et des fenêtres pour, dans un jeu d’illusions d’optique inédit, créer dans le salon des caissons de doubles fenêtres qui descendent plus près du sol afin d’accentuer l’impressionnante hauteur, l’ouverture sur l’extérieur et la lumière qui baigne cette pièce à double exposition, réfléchissant à la fois le vert du fleuve et le bleu du ciel.
Un jeu coloré réussi
Le parti pris se situe au niveau des matières et des couleurs. À part le bois et le marbre, tout est en lino, 100 % naturel, mis en valeur comme jamais encore sur les murs et les sols, dans un jeu coloré réussi, fruit d’un travail minutieux de découpes et d’associations subtiles mais tranchées avec des matériaux écologiques et naturels : cannages et bois qui se font écho dans des proportions toujours justes. Lino bordé de laiton, marbres lisses ou bois cannelé créent un style que l’on croirait d’origine. Dans ce même sens du détail, les fenêtres et leur poignée en laiton ont été conservées, et les prises et interrupteurs spécialement recréés →
en bakélite – le plastique de l’époque –, dans une recherche stylistique aboutie. Ce choix des matériaux a été associé à une réflexion sur leurs couleurs. Dans le salon, le bleu, le rouge et les tonalités sourdes ont été privilégiés dans un heureux contraste avec le marbre et le noyer. Les chambres sont traitées dans une combinaison de lino bleu et rouge, quand un jaune résolument gai a été préféré pour la salle de bains et la chambre principale.
Lino, noyer et céramique
Dans la chambre, le salon et la cuisine, Massimo Adario a fait intervenir l’artiste céramiste Francesco Ardini. « À Faenza, près de Ravenne, il y a une très grande tradition de la céramique chez Ceramica Gatti, fabrique fondée par le peintre et sculpteur Riccardo Gatti en 1928. La maison est très connue pour avoir accompagné les arts décoratifs en Italie, à travers ses collaborations avec
Gio Ponti, Carlo Corvi, Giovanni Guerrini… » Là-bas, Francesco Ardini a récupéré les rebus, les imparfaits à la cuisson qu’il a retravaillés pour réaliser des poignées de portes pour les placards de la chambre et du salon, des créations originales sur le thème des insectes. De même, dans la cuisine, de grands ouvrants dissimulant de vastes placards sont habillés d’une fresque signée de Francesco Ardini. Elle a été réalisée à partir de carreaux de céramique recouverts de poussière de porcelaine sur laquelle l’artiste a dessiné au doigt des motifs figuratifs uniques, avant une nouvelle cuisson. Un îlot en métal et laiton réalisé sur mesure complète l’ensemble, dans une démarche radicale de simplicité que seul un souci fou du détail vient contredire, tout comme dans la salle de bains, qu’un long meuble en noyer dessiné par l’architecte suffit à habiller, de concert avec des carreaux jaunes du sol au plafond.
Partant d’une période marquée, celle de l’après-guerre, l’architecte a choisi les pièces de mobilier comme autant de points de fuite sur presque toutes les décennies du xxe siècle, du Bauhaus aux années 1980. Thonet, Cassina, mais aussi des créations sur mesure comme le double canapé… Les fauteuils du salon, signés d’un designer tchèque ont été chinés en Suisse. Et, dans ce jeu d’époques revues au goût du jour, l’impression que tout a toujours été comme ça n’est pas la moindre des réussites de cet rénovation florentine.