Jeux de constructions modernistes
Revisitant les préceptes de l’architecture rationaliste, le décorateur Hannes Peer conçoit un appartement-atelier où styles et fonctions se juxtaposent avec finesse.
À Milan, le décorateur Hannes Peer revisite les préceptes de l’architecture rationaliste pour son appartement-atelier, juxtaposant avec finesse styles et fonction.
Nombreux sont ceux qui découvrirent le talent d’Hannes Peer lors de l’exposition AD Intérieurs entre les murs de l’hôtel de Coulanges. Son décor confrontant béton brutaliste et murs laqués, antiques et mobilier seventies, affirmait une écriture novatrice, une forme de rétro équivoque, ambigu, indatable. Architecte, décorateur et designer italien d’origine autrichienne, ce trentenaire conçoit des espaces dont la dynamique découle de confrontations d’éléments st ylist iques tranchés. Son nouveau repaire milanais s’inscrit dans cette même veine d’hybridation des genres. Des pièces vintage modernistes y côtoient des chaises chinoises traditionnels, mais plus encore que le mix and match bien senti du mobilier, ce sont les télescopages structurels qui définissent la dynamique propre à cet intérieur rigoureusement structuré. L’architecture s’avère être la grande passion de Hannes Peer, le moteur même de son processus créatif.
Espace de vie et atelier
À la façon de Le Corbusier aménageant, pour lui-même, un appartement-atelier dans le quartier Molitor, dans le XVIe arrondissement de Paris, où il vécut de 1934 à 1965, le jeune Milanais s’est inventé un espace multifonct ionnel dédié à sa pratique transdisciplinaire. « C’est d’abord un appartement, un espace de vie, puis un espace-atelier, assure le maître des lieux. Vivre et travailler représente à peu près la même chose. Pour moi, les deux s’entremêlent const amment, et c’est la rais on pour laquelle j’ai souhaité un espace où je peux exprimer les diff érentes palettes de ma créativité, de l’architect ure intérieure au design, en passant par l’art. Un lieu où je peux dessiner mes plans sur ordinateur, faire mes prototypes d’objets et réalis er mes
peintures sculpturales – quand j’en trouve le temps ! »
Le plan est structuré en six sections distinctes : un vestibule avec un coin salon, un salon, un espace atelier, un atelier, une petite cuisine et une chambre. Avec ses circulations ouvertes et fluides, ses structures apparentes et ses larges verrières, l’agencement respecte les préceptes modernistes. Hannes Speer s’est employé à redonner à cet espace en rez-de-chaussée, qui fut à l’origine une imprimerie puis, au gré de ses différents propriétaires, un institut de beauté et un salon de massage thérapeutique, son volume théâtral initial. Dégageant les puits de lumière et les fenêtres surdimensionnées d’origine, il module la clarté propre à cet espace ouvert en développant dans l’entrée un lustre sculptural en pétales de verre de Murano transparent et opalin. Autre intervention forte, un jeu de plateaux nivelés délimite chaque espace selon sa fonction. Le petit salon d’accueil est ainsi placé en contrebas de la salle à manger comme du bureau. Les sols en résine brillante ébène, le marbre gris-vert des escaliers et les murs blancs homogénéisent les différentes zones ouvertes. « Ici et là sont disposées des sculptures exotiques, allant de masques africains en bois à des petits objets en bronze réalisés par Oreste Dequeln ou à des bas-reliefs antiques. Ces objets, disposés par associations fraîches et inattendues, invitent à s’approprier plus intimement l’espace. Car si celui-ci déploie son vaste continuum à travers la maison, il a été travaillé comme une succession de petites aires à taille humaine. La richesse visuelle des tapis de soie, des métaux oxydés, des bois vieillis, des surfaces brillantes et des revêtements texturées renforcent ce sentiment de chaleur. » Non content de concevoir un lieu conceptuellement fort, Hannes Speer sait aussi lui insuffler douceur et fantaisie.