Nanda Vigo, radicale visionnaire
Artiste, designeuse, architecte, Nanda Vigo a toujours privilégié une vision globale dans son travail, traçant son parcours au fil du XXe siècle à travers les avant- gardes radicales. Avec un certain sens de la démesure.
Artiste, designeuse, architecte… elle est tout cela à la fois, appréhendant son travail dans une vision globale, et avec un certain sens de la démesure.
Non, Nanda Vigo n’a aucun regret sur sa longue carrière. « Peut-être une erreur, corrige-t-elle, celle d’être partie terminer mes études d’architecture à Taliesin West, chez Frank Lloyd Wright, au lieu d’aller chez Mies van der Rohe. » Trop arrogant, ajoute-t-elle, mais c’était l’époque de la Fallingwater et tout jeune architecte rêvait de rencontrer le maître américain. Pourtant, il faut avouer qu’en matière de mentors, la petite Nanda en avait déjà vu d’autres… Le peintre Filippo De Pisis était un ami de la famille, et Côme, où les Vigo avaient trouvé refuge pendant la guerre, regorgeait déjà de chefs-d’oeuvre rationalistes. Comme l’architecture de Giuseppe Terragni justement : la découverte, à 7 ans, de sa célèbre Casa del Fascio est une révélation pour Nanda Vigo. « C’est lui que je dois remercier. Vous n’allez pas me croire, mais j’ai eu une illumination qui m’a suivie toute ma vie. La lumière incroyable qu’il avait réussi à insuffler à cette architecture, aussi rationaliste soit-elle mais en tout cas très sophistiquée, était fantastique. Ça a fait resplendir tout ce qui était autour ! À ce moment-là, j’ai compris que la lumière seule pouvait permettre de construire. » Installations, expositions, maisons, appartements, meubles, lampes, tout ce que Nanda Vigo a pu créer par la suite fut une ode à la lumière.
Dès son retour des États-Unis, fin 1958, on la retrouve au côté de Lucio Fontana à Milan, alors que l’artiste est en pleine expérimentation spatialiste et que son néon virevoltant plane déjà au-dessus du grand escalier de la Triennale. « Pour une passionnée de science-fiction comme moi, le spatialisme était la seule direction qui pouvait m’intéresser à l’époque, se souvient-elle.
Alors j’ai frappé à la porte de Fontana. Et puis il y avait Gio Ponti, le seul qui travaillait sur tous les fronts, le design, l’architecture, la céramique, les meubles : il avait une approche globale, tandis qu’à l’époque on faisait soit de l’architecture, soit du design. Moi, tous mes travaux s’entrecroisaient entre l’architecture et l’art, alors j’ai aussi frappé à sa porte.
Et ce fut une grande leçon pour moi. » D’où les nombreuses collaborations avec ces deux complices, mais aussi avec tant d’autres, comme Piero Manzoni ou la bande du Groupe ZERO, Enrico Castellani, Daniel Spoerri, François Morellet, Pol Bury, etc.
Brouiller la perception
Les avant-gardes ne seront jamais loin des innombrables expositions de Nanda Vigo, que ce soit en Italie, en Suisse ou en Allemagne, où elle poursuivra toujours ses recherches dans l’idée radicale d’un espace total, où tous les arts se rejoignent en harmonie. Les premiers Cronotopi illustrent déjà le propos à partir de 1960, reflétant la lumière d’un néon à travers un jeu de plaques de verre givré ou imprimé de sorte à redessiner l’espace et brouiller la perception de l’oeil, transporté dans une autre dimension spatio-temporelle. Un concept qui se décline à toutes les échelles, des installations opticolabyrinthiques aux projets résidentiels comme la Casa Pellegrini de 1960, blanche et monochrome, simplement décorée par les oeuvres de Fontana et Castellani. Impossible de se ranger sous une étiquette,
Nanda Vigo l’avoue : « Ça a toujours été une tendance naturelle chez moi. Les choses s’enchevêtrent… À la base, j’ai la structure de l’architecte, mais pas totalement, car ce ne serait pas suffisant. Disons que l’architecture m’intéresse pour le caractère plus précis des matériaux et des contenus. C’était un discours en devenir, les gens appelaient ça “intégration des arts”, quelle expression horrible ! “Vision globale” c’est plus joli. » Les intérieurs ne sont qu’un terrain de plus pour explorer son obsession de la lumière et approcher d’encore plus près une dimension cosmique qui s’adapte à merveille aux oeuvres d’arts puisqu’elle est pensée pour elles. La preuve en est avec Le Scarabée sous la feuille, maison prototype d’abord imaginée par Gio Ponti dans les pages du numéro de mai 1964 de Domus, offerte à celui qui aurait souhaité la construire. Une seule réponse : Giobatta Meneguzzo, géomètre de son état, collectionneur à ses heures perdues. Il fallut deux ans de désaccords avec l’architecte avant que Nanda Vigo n’atterrisse sur le projet pour compléter ce chantier qui reste à ce jour son meilleur souvenir. « Je n’avais aucune information, alors je me suis inventé un intérieur. Gio Ponti a posé sa main sur ma pile de dessins et m’a dit “Je ne veux rien voir, si ça me plaît, oui, sinon tant pis”. Moi qui étais toute jeune, j’étais impressionnée… Heureusement que ça lui a plu ! »
Miroirs et fausse fourrure
Carrelage blanc en all-over, mobilier intégré recouvert de fourrure synthétique grise à poil long, Nanda Vigo pose ici les éléments d’un vocabulaire qui va lui servir pour décorer, en 1967, la Casa Museo Remo Brindisi. Une fois de plus, c’est une maison
expérimentale, puisqu’il est quest ion d’abriter simultanément habitation et musée sans que les deux n’interfèrent. Les toiles sont signées Picasso, Boccioni, De Chirico, Klee, Pollock, Matisse, Magritte, chacune étant d’emblée partie intégrante d’un immense hall circulaire carrelé de blanc, longé par un escalier. Murs vitrés, sols moquettés, néons tous azimuts, vernis, laques, longs canapés en fausse fourrure, les extravagances vont se poursuivre au fi l des couleurs avec la Casa Blu, la Casa Gialla, la Casa Nera et même La Casa Che Non c’è (la maison qui n’existe pas), dans une tentative de proposer une maison à modules totalement décloisonnée pour Domus et Driade en 1972. Car les éditeurs ne sont pas en reste, de Kartell à Arredoluce, en passant par FAI International qui donne l’occasion à Nanda Vigo de réaliser en série toute une gamme en miroir, dont un lit devenu culte. « Mais ça c’était avant, regrette l’artiste, quand les entrepris es avaient du courage. À l’époque on travaillait sérieusement, alors qu’aujourd’hui les gens pensent qu’il suffit d’appuyer sur deux boutons pour résoudre tous les problèmes du monde. » Ipse dixit.
À lire : Nanda Vigo. Light is Life, sous la direction de Dominique Stella, édition bilingue anglais-italien, Johan & Levi Editore, 260 pages.
Les décorateurs des années 60-70, de Guy BlochChampfort et Patrick Favardin, aux éditions Norma, 336 pages.