Vision d’Orient
À Santa Cesarea Terme, dans le Salento, un palais de style mauresque est devenu l’emblème d’une ville qui ne serait plus la même sans cette fantaisie architecturale, incroyable et surprenante.
Dans les Pouilles, un palais de style mauresque est devenu l’emblème d’une ville qui ne serait plus la même sans cette fantaisie architecturale surprenante.
Si le Palazzo Sticchi a été construit dans ce style mauresque si incongru pour la région, il se raconte que ce fut dans le but de développer un tourisme thermal encore balbutiant en 1891. Le commanditaire, un médecin, avait conscience du potentiel qu’il pouvait tirer des eaux chaudes et soufrées, légèrement radioactives, bénéfiques pour la santé, qui sourdent de trois grottes de Santa Cesarea Terme pour se jeter ensuite dans la mer. Cette spécificité locale lui inspira l’idée d’une excentricité architecturale que l’on remarquerait et dont la notoriété rejaillirait sur la ville dont il s’était vu confier la gestion des thermes. Lorsque, peu après le début de la construction, le docteur Pasca se retrouva à court d’argent, la famille Sticchi racheta la demeure, en acheva les travaux et lui donna son nom. Nous sommes en 1894, elle obtient aussi les concessions d’exploitation des eaux thermales de Santa Cesarea, qu’elle conservera jusque dans les années 1980.
Le Palazzo Sticchi, érigé sur un promontoire au coeur de la ville, a été bâti en calcaire – la pierre locale – selon un classique plan en carré d’une grande symétrie. Un salon de huit mètres de hauteur sous plafond, autour duquel s’ordonnent les pièces, est relié à l’extérieur par deux couloirs se faisant face, à la façon d’un patio intérieur communiquant avec une galerie couverte à colonnades qui, tel un chemin de ronde, permet de faire le tour du bâtiment en profitant de la vue à couper le souffle sur la ville et sur la mer. Aujourd’hui, Luiggi Sticchi, ingénieur et cinquième du nom à occuper la villa, a libéré les murs de leur papier peint pour les peindre en blanc, laissant parler les vitraux et les perspectives sur le ciel de la mer Adriatique : « La couleur étant si présente à l’extérieur, l’intérieur méritait le contraste. » Dans le même esprit, il n’a rien touché à la structure et l’agencement intérieur demeure simple, composé essentiellement du mobilier familial, souvent de style oriental.
Un style opulent et coloré
Au dehors, les éléments, vent marin, embruns, tempêtes hivernales et soleil, érodent les couleurs des frises et obligent à entretenir régulièrement le palazzo. Le dôme de la coupole, par exemple, doit être repeint chaque année. Dans les années 1960, il était encore surmonté d’une girouette composée d’un coq et d’un croissant de lune. Il furent emportés un jour de tempête et Luigi Sticchi eut l’idée de les remplacer par un imposant cristal Swarovski qui, lorsque le soleil est à son zénith, diffracte la lumière pour créer un arc-en-ciel. Façon de rappeler qu’autrefois la coupole servait d’amer aux navigateurs, raison pour laquelle la famille a toujours veillé à son entretien régulier. C’est Luigi Sticchi en personne qui réalise les mélanges de pigments avant de les faire appliquer pour un résultat à l’identique, année après année.
La curiosité de ce palais turc dans les Pouilles – il se raconte aussi qu’une villa identique en tout point se trouve sur les rives du Bosphore –, son décalage avec les maisons basses et simples de la région et son style opulent et coloré, qui mélange frises grecques et égyptiennes, étoiles de David et colonnes en chantourné, ont bien sûr attiré l’attention du cinéma : un film de Carmelo Bene, Notre-Dame des Turcs, y a été tourné en 1968 et se vit même décerner le Grand prix du jury à la Mostra de Venise. Une publicité qu’aurait goûtée le docteur Pasca qui, ayant l’idée de cette construction atypique, avait peut-être en tête les mots de Charles Baudelaire à propos de l’Exposition universelle de 1855 :
« Le beau est toujours bizarre. »