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Aux couleurs du temps

Dans la vallée de l’Hudson, au nord de New York, le photograph­e Martyn Thompson s’est créé une retraite poétique et bucolique. Un lieu aux murs entièremen­t peints de gris, où l’atmosphère évolue au rythme des saisons et des variations de la lumière.

- PHOTOS PORTRAIT TEXTE

Martyn Thompson Brian Reyes Marie Kalt

Cela fait presque un an que les photos de la maison dans les Catskills de Martyn Thompson, un photograph­e avec lequel nous travaillon­s depuis longtemps au journal, sont accrochées au mur de mon bureau. Il les avait prises au printemps et à l’automne, et nous hésitions entre ces deux versions, l’une joyeusemen­t ensoleillé­e, l’autre plus nostalgiqu­e. Nous étions sous le charme de ces images pleines d’atmosphère, de ce lieu hors du temps où le photograph­e, arborant une crête, une barbiche argentée et une tenue d’elfe cousue de ses mains, semblait nous inviter à entrer. Quelques mois et un confinemen­t plus tard, Martyn Thompson a quitté sa maison dans les bois pour rejoindre Sydney – où il a passé une partie de son enfance – et vivre proche de sa famille. À des milliers de kilomètres de distance, nous nous parlons sur Zoom et il me raconte ce qui l’a séduit dans cet endroit qu’il ne reverra sans doute pas avant un long moment.

« J’avais des amis qui habitaient Woodstock, et en leur rendant visite je suis tombé amoureux de cette région. Le paysage me rappelait ceux des Midlands où je passais les vacances chez mes grands-parents lorsque j’étais enfant. J’étais à un moment de ma vie où j’avais besoin de me rapprocher de mon passé, de mes racines. J’avais aussi envie de faire une rupture avec le rythme de New York où l’on est toujours à 100 % de son énergie et de son activité. »

Quelques mois plus tard, il achète un corps de bâtiment datant des années 1920 avec deux extensions bâties entre 1980 et 1990. Une constructi­on qui ne ressemblai­t pas à grand-chose – « de bric et de broc », avoue-t-il – mais qui avait l’avantage d’être dotée d’une double exposition nord-sud et d’un grand nombre de fenêtres. En souvenir de la maison de sa grand-mère dont les mur en pans de bois étaient passés au goudron, il badigeonne l’extérieur en noir pour « neutralise­r » l’aspect disparate de l’ensemble et applique le même

—— Le photograph­e Martyn Thompson principe à l’intérieur où murs, portes et plafonds sont peints dans ce gris Pigeon indéfiniss­able de Farrow & Ball. « J’utilise cette couleur depuis longtemps, explique-t-il, j’adore sa densité particuliè­re, la façon dont elle met en valeur les autres couleurs et surtout la manière dont elle fluctue avec la lumière. De pièce en pièce, elle change : au nord, elle devient bleutée, au sud, elle prend des reflets dorés. En tant que photograph­e, je ne travaille qu’en lumière naturelle, et je suppose que c’est pour cela que je suis particuliè­rement sensible à ses variations. » Cette teinte « couleur du temps » sert de toile de fond à un ensemble de meubles et d’objets choisis plus pour leurs formes et leurs textures que pour leur style. « Je n’ai pas de période de décoration de prédilecti­on, reconnaît-il, même si j’adore Gio Ponti ou Mies van der Rohe. Ce qui m’intéresse, c’est le côté vécu des choses, leur patine. Je n’aime pas les trucs neufs ou qui brillent. » Éminemment changeant et inspirant, ce lieu est un terrain de jeu idéal pour le photograph­e qui l’utilise comme studio de nature morte, mais aussi comme atelier pour s’y livrer à ses autres activités : la couture – il réalise ses propres vêtements au look si singulier, privilégia­nt tissus anciens et de récupérati­on –, la création de dessins textiles, qui ont donné naissance à la marque Martyn Thompson Studio, ou de céramiques pour la manufactur­e anglaise 1882 Ltd.

Citadin depuis toujours – après avoir quitté l’Australie, il a vécu successive­ment à Londres, à Paris et à New York –, le photograph­e découvre à Woodstock le plaisir de jardiner, une activité qui invite à la méditation et à une réflexion sur les rythmes et les exigences de la nature. « J’aime les jardins anglais où les plantes poussent en liberté, et pas forcément là où j’ai décidé de les planter, Et puis, il y a le cycle des saisons. Grâce à ce jardin, j’ai compris que les choses meurent, mais qu’elles peuvent renaître aussi. Par les temps qui courent, où tout paraît si incertain, c’est une leçon de vie.

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