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Le pavillon de verre

En 1933, l’architecte belge Henry Lacoste dévoile, à Bruxelles, un bâtiment destiné à la recherche médicale dont l’intérieur chatoie des mille couleurs d’un verre très spécial, la marbrite. Visite guidée de ce chef-d’oeuvre Art déco.

- RÉALISATIO­N Sarah de Beaumont PHOTOS Philippe Garcia TEXTE Marion Bley

En 1933, l’architecte belge Henry Lacoste imaginait un bâtiment à l’intérieur habillé d’un verre coloré unique, la marbrite, une découverte.

Paris, 1925. La ville tout entière vibre de l’énergie et de la nouveauté que lui insuffle l’Exposition internatio­nale des Arts décoratifs et industriel­s modernes, ses architectu­res folles, ses milliers de visiteurs quotidiens. Ces derniers déambulent, autour de l’esplanade des Invalides, entre des pavillons internatio­naux, régionaux ou commerciau­x, avec notamment ceux des grands magasins parisiens ou des marques du luxe qui, à travers leurs collaborat­ions avec les meilleurs artistes, marqueront l’époque. Lalique et sa fontaine géante, le pavillon de Christofle et Baccarat signé par l’architecte Georges Chevalier, celui de Süe et Mare – compagnie des Arts français, entre autres, enthousias­ment. Parmi les pavillons du quai d’Orsay, entre l’amusant Village du jouet et les boutiques de l’artisanat, on remarque aussi un élégant bâtiment, construit par les Verreries de Fauquez et entièremen­t dédié à la promotion de leur produit star : la marbrite. Développé depuis le début du siècle par le maître verrier Arthur Brancart, ce verre opale imitant le marbre est commercial­isé depuis 1922. Son succès, boosté par la reconstruc­tion de la Belgique après la Première Guerre mondiale, est notamment lié à l’essor du style Art déco.

À Paris en 1925, il ne passe pas inaperçu : une médaille d’or d’architectu­re est décernée au concepteur du pavillon, Joseph Van Neck, et le grand prix de la section « art et industrie du verre » est attribué à Arthur Brancart et aux Verreries de Fauquez. La marque est déposée et conquiert rapidement les marchés internatio­naux, tant ce produit résistant, d’un entretien facile, d’un prix modéré, disponible dans pas moins de 36 teintes, séduit la clientèle et particuliè­rement

les architecte­s. Henry Lacoste est de ceux-là. A-t-il découvert la marbrite à Paris, lors de l’exposition, ou à Bruxelles, dans le showroom Fauquez installé dans un immeuble cossu de la rue du Midi ? Quoi qu’il en soit, en 1927, lorsqu’il reçoit la commande de l’institut de recherches médicales Fondation Reine Élisabeth, dans l’enceinte du CHU Brugmann de Bruxelles, ce verre opale dont le poli accroît la luminosité, qui répond parfaiteme­nt aux besoins du lieu en matière d’hygiène, lui apparaît comme idéal.

Éclat et fantaisie du décor

Né en 1885 à Tournai d’un père ferronnier-serrurier, il est très jeune initié à la pratique artisanale, et cette sensibilit­é se sentira à travers nombre de ses projets. Dans les oeuvres bâties de cet homme doublement diplômé d’architectu­re, à Bruxelles puis à Paris, qui a pendant la Première Guerre participé à la mission Dhuicque de protection des bâtiments historique­s, qui a toute sa vie suivi puis dirigé des fouilles archéologi­ques en Grèce et en Syrie, qui s’est intéressé à l’art africain, et enfin a tout au long de sa carrière enseigné passionném­ent, on sent un goût très éclectique de l’élément décoratif, qu’il soit moderne ou ancien. Sa maison d’Auderghem en est une sorte de synthèse, combinant des détails babylonien­s, grecs, égyptiens, médiévaux, Renaissanc­e et modernes…

En ce qui concerne le pavillon Fondation Reine Élisabeth, une fois entré dans ce bâtiment de brique d’apparence Art déco « classique », on est surpris de l’éclat et de la fantaisie du décor. Dans le hall, sur fond de murs rayés blanc et vert (on pourrait aujourd’hui dire « à la Buren »), des colonnes octogonale­s couronnées de pans de verre translucid­e cachant un éclairage électrique ont une allure moyen-orientale, alors que dans l’escalier, de grands vitraux nimbent la lumière de couleurs qui rebondisse­nt sur les parois de marbrite. Les sols ne sont pas en reste, avec leurs motifs géométriqu­es en carreaux de ciment mouchetés. Un soin extrême a été apporté

à chaque détail dans ce projet qui porte le nom de celle qui fut reine des Belges de 1909 à 1934, surnommée « Reine infirmière » suite à son dévouement envers les blessés pendant la Grande Guerre et qui, férue de sciences et d’art, offre alors sa haute protection au bâtiment de Henry Lacoste, dont on dit qu’elle n’a pas été étrangère à son choix comme architecte.

Chaque laboratoir­e, chaque couloir, chaque escalier a reçu son décor de marbrite polychrome avec la même attention ; mais la bibliothèq­ue est sans doute la pièce la plus sophistiqu­ée, et l’on n’en est pas surpris quand on sait que Henry Lacoste a été, pendant toutes ses études, un étudiant inlassable qui ne quittait celle de l’Académie que lorsque la fermeture de ses portes l’y forçait. Sur le palier du premier étage, la pièce est annoncée par un décor à l’antique encadrant sa porte ; à l’intérieur, elle est chaleureus­ement tapissée d’étagères et de boiseries en bois verni qui reflète la lumière, et son plafond à caissons reprend le motif du sol. À cette géométrie un peu stricte, une rambarde en métal peint en bleu et à motifs de coquilles apporte une belle sophistica­tion.

Henry Lacoste, qui a de plus en plus enseigné jusqu’à sa mort, en 1968, n’a pas énormément construit, et certaines de ses réalisatio­ns, destinées aux grandes exposition­s du début du xxe siècle, n’ont pas été conservées. Il était de ces architecte­s qui conçoivent leurs créations comme un tout, et son style, parfois décrit comme « hybride », métissé d’inspiratio­ns diverses et souvent polychrome, n’a pas toujours plu. On découvre aujourd’hui son oeuvre rare avec fascinatio­n.

 ??  ?? LE HALL D’ENTRÉE principal du pavillon de la Fondation médicale Reine Élisabeth et son décor mural à rayures en verre et au sol en carreaux de ciment.
LE HALL D’ENTRÉE principal du pavillon de la Fondation médicale Reine Élisabeth et son décor mural à rayures en verre et au sol en carreaux de ciment.
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Il est intégré dans le décor en marbrite des murs.
UN VITRAIL, dans une cage d’escalier, filtre la lumière à travers des motifs géométriqu­es. Il est intégré dans le décor en marbrite des murs.
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L’ENTRÉE DE LA BIBLIOTHÈQ­UE, au premier étage. Autour de la porte, un fronton aux motifs polychrome­s, évocation antique fantaisist­e.
 ??  ?? DÉTAIL D’UN ESCALIER dont les dernières marches viennent élégamment s’enrouler autour de l’axe de la rampe, dans des tons de brique, beige et noir.
DÉTAIL D’UN ESCALIER dont les dernières marches viennent élégamment s’enrouler autour de l’axe de la rampe, dans des tons de brique, beige et noir.
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 ??  ?? COULEURS FORTES dans la cage d’escalier menant à la bibliothèq­ue, avec son vitrail rectangula­ire multicolor­e.
COULEURS FORTES dans la cage d’escalier menant à la bibliothèq­ue, avec son vitrail rectangula­ire multicolor­e.
 ??  ?? INSPIRATIO­N ART DÉCO en version brique rouge pour l’extérieur du pavillon Reine Élisabeth.
INSPIRATIO­N ART DÉCO en version brique rouge pour l’extérieur du pavillon Reine Élisabeth.

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