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Un passé recomposé

Faire se rencontrer deux esthétique­s a priori inconcilia­bles, le baroque et le cinéma hongkongai­s, dans un palazzo lombard, c’est le pari fait par le décorateur et designer Daniele Daminelli. Défi relevé haut la main.

- Nathalie Krag PHOTOS Ferdinando Cotugno TEXTE Tami Christians­en STYLISME

Dans un palazzo lombard, le décorateur Daniele Daminelli fait se rencontrer le baroque et le cinéma hongkongai­s. Entre passé et nostalgie future.

Dans les années 1750, c’est dans ce palazzo proche du sanctuaire de la Madonna delle Lacrime, au centre de Treviglio, que les frères Galliari choisirent de vivre et de travailler. Ces peintres passés maîtres dans les perspectiv­es et l’illusionni­sme s’illustrère­nt dans de nombreux palais, théâtres, villas et autres basiliques baroques. Les fresques de ces prestigieu­x scénograph­es servirent de décor à l’opéra d’Antonio Salieri – le supposé rival de Mozart – qui inaugura la Scala de Milan en 1778. Aujourd’hui, leurs peintures jouent un rôle central dans l’atelier-showroom de Studio 2046.

Ou, pour être plus précis, elles partagent littéralem­ent l’affiche, à l’étage noble du palais patricien, avec l’esthétique et la vision du film 2046. Ce long-métrage du réalisateu­r hongkongai­s Wong Kar-wai, sorti en 2004, a laissé sur le designer italien une empreinte indélébile, à tel point que son agence porte son nom. Dans le film, nominé au festival de Cannes, 2046 est le numéro d’une chambre d’hôtel et le titre du roman qu’écrit le protagonis­te. Les thématique­s du temps, de l’amour et leur traitement dans le film sont chers à Daniele Daminelli.

Pour le designer italien, en effet, ces quatre chiffres sont le code d’accès à « un futur romantique recomposé pour retrouver ses amours sous une autre forme et dans un autre lieu ». Cette formule est aussi une façon de résumer sa biographie. Originaire de la province de Bergame en Lombardie, une fois diplômé de l’IED, l’Institut européen de design, Daniele Daminelli fait ses classes et oeuvre pendant sept ans à Milan auprès de Dimorestud­io, l’agence créée par le duo Emiliano Salci et Britt Moran. En 2017, il retourne dans sa région et ouvre sa propre agence à Treviglio, à quelques pas de son lieu de naissance. Pour vivre sa passion du design et de la décoration sur une base plus personnell­e, confie-t-il.

Ayant eu vent du retour en ville d’un jeune designer de la région, une famille d’architecte­s, les Bacchetta, lui propose d’organiser une exposition temporaire dans leur palais familial. « La collection que j’ai préparée s’est inspirée de la peinture des frères Galliari, les premiers à avoir vécu dans ce lieu. Elle se composait de meubles et de lampes qui rappelaien­t les couleurs de leurs fresques, notamment le rose et le vert. » Suite à cette performanc­e, les Bacchetta l’invitent à transférer son activité dans le palazzo. « Ils désiraient avant tout que la maison continue de vivre d’art, comme elle l’a toujours fait », explique Daniele Daminelli, ravi de cet arrangemen­t. Dans cette bâtisse à très hauts plafonds, certains sols sont restés d’origine, ainsi que les portes de plusieurs pièces. Les fresques retrouvent tout leur éclat sur les murs dont les teintes s’harmonisen­t avec le rose rubis du long couloir qui relie les pièces entre elles, parallèlem­ent à une terrasse dotée d’une large verrière.

« Dans ce palazzo, les visiteurs sont projetés dans une atmosphère aux échos variés. »

—— Le décorateur et designer Daniele Daminelli

Le palazzo Bacchetta est également l’héritage de la FAI, fondation active dans la valorisati­on du patrimoine artistique italien, à laquelle il sert toujours de siège local. « Pour nous, accueillir les visiteurs dans un lieu aux échos et stimuli aussi variés, c’est déjà les projeter dans notre univers, les impliquer dans une atmosphère et une recherche communes », explique Daniele Daminelli. Ainsi, selon lui et comme dans le film de Wong Kar-wai, le temps s’articule en spirales de nostalgie. C’est ainsi que sa collection de pièces de design du xxe siècle a naturellem­ent trouvé place dans le palazzo, à l’instar du rocking-chair Sgarsul de Gae Aulenti, de la table Delfi de Carlo Scarpa, de la chaise Tutu de Kazuhide Takahama ou d’une suspension de Hans-Agne Jakobsson. Pour Daniele Daminelli, le travail du designer consiste à stimuler la nostalgie future, car chaque objet naît d’une rencontre, d’une recherche, d’un désarroi amoureux ou d’une projection vers l’avenir. Puisque, comme le dit le personnage interprété par Tony Cheung, l’écrivain qui tire les ficelles de 2046 : « En amour, tout est question de timing. »

Il semblerait qu’en design aussi.

Le palazzo est situé dans le coeur historique de Treviglio, à deux pas de la basilique de San Martino.

« Ce palais est un écrin rare pour ma collection de design et mes propres créations. »

—— Le décorateur et designer Daniele Daminelli

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DANIELE DAMINELLI, le fondateur de Studio 2046.
DANS LE PALAIS se confronten­t, en harmonie, trompe-l’oeil de colonnes et de frises et mobilier du xxe siècle collection­né par Daniele Daminelli : ici, un fauteuil Utrecht de Gerrit Thomas Rietveld (Cassina), un fauteuil à bascule Sgarsul de Gae Aulenti (Poltronova) et un lampadaire Bumling, circa 1960 d’Anders Pehrson (Ateljé Lyktan). DANIELE DAMINELLI, le fondateur de Studio 2046.
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 ??  ?? DEVANT LA CHEMINÉE, trois tables d’appoint Velasca de Daniele Daminelli sont entourées des canapés Simone de Dino Gavina (Studio Simon), 1970. Suspension de Hans-Agne Jakobsson, 1960. Tapis chinois, circa 1920 (Nichols).
DEVANT LA CHEMINÉE, trois tables d’appoint Velasca de Daniele Daminelli sont entourées des canapés Simone de Dino Gavina (Studio Simon), 1970. Suspension de Hans-Agne Jakobsson, 1960. Tapis chinois, circa 1920 (Nichols).
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LA VUE SUR LE CLOCHER de la basilique de San Martino e Santa Maria Assunta.
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Delfi de Carlo Scarpa, 1968, le fauteuil Tulu de Kazuhide Takahama (Studio Simon) et la lampe de bureau
B- 075 d’Eje Ahlgren (Bergboms). À gauche, fauteuils danois des années 1950. La terrasse vitrée longe, à l’étage, les pièces en enfilade du palazzo.
DANS LE BUREAU, les fresques sont un cadre enchanteur pour la table Delfi de Carlo Scarpa, 1968, le fauteuil Tulu de Kazuhide Takahama (Studio Simon) et la lampe de bureau B- 075 d’Eje Ahlgren (Bergboms). À gauche, fauteuils danois des années 1950. La terrasse vitrée longe, à l’étage, les pièces en enfilade du palazzo.
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DANS LA GALERIE qui borde l’étage, les lustres de Hans-Agne Jakobsson, 1950, répondent aux tabourets du Studio 2046. Le sol d’origine a été restauré.
 ??  ?? DANS LA SALLE D’ATTENTE dont la couleur terracotta se retrouve sur la terrasse, les lustres sont de Hans-Agne Jakobsson. Fauteuil à bascule Sgarsul de Gae Aulenti (Poltronova), fauteuil Utrecht de Gerrit Thomas Rietveld (Cassina) et lampadaire suédois Bumling d’Anders Pehrson (Ateljé Lyktan).
DANS LA SALLE D’ATTENTE dont la couleur terracotta se retrouve sur la terrasse, les lustres sont de Hans-Agne Jakobsson. Fauteuil à bascule Sgarsul de Gae Aulenti (Poltronova), fauteuil Utrecht de Gerrit Thomas Rietveld (Cassina) et lampadaire suédois Bumling d’Anders Pehrson (Ateljé Lyktan).

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