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Zeffirelli, le baroque jet-set

Dandy fantasque, metteur en scène de cinéma, d’opéra et de théâtre, Franco Zeffirelli affectionn­ait aussi les maisons à grand spectacle. Retour sur la passion décorative qui anima le maestro.

- Cédric Saint André Perrin PAR

Dandy fantasque, celui qui fut réalisateu­r de cinéma et metteur en scène d’opéra et de théâtre était aussi animé d’une passion décorative à grand spectacle.

ÀPositano, surplomban­t une baie où la légende veut que les sirènes attiraient les navigateur­s par leurs chants, s’érige la très spectacula­ire Villa TreVille. Trente-sept ans durant, jusqu’en 2007, Franco Zeffirelli séjourna, les beaux jours venus, dans ce cadre idyllique, recevant en villégiatu­re tout de ce que la jetset des années années 1970-1980 comptait de beautiful people, de Liz Taylor à Rudolf Noureev, proche voisin, en passant par Liza Minnelli. Doté d’un cabinet de curiosités digne d’un autel consacré, d’un salon ponctué de meubles en marqueteri­e de nacre rapportés de voyages en Syrie, d’une chambre au lit surmonté d’un dais taillé dans des indiennes, l’agencement intérieur invitait à des voyages imaginaire­s. On se serait cru à Damas, à Venise, à Jaipur, on ne savait plus trop… Tempérée par une gamme claire, du blanc au crème, cette tornade ornemental­e gagnait en fraîcheur estivale ; il émanait de la villa une insoucianc­e chic et désinvolte. La justesse de cet exercice de haute voltige stylistiqu­e devait pour beaucoup au talent d’un autre génie transalpin – sans doute le plus grand architecte d’intérieur italien du xxe siècle –, Renzo Mongiardin­o (1916-1998), avec qui Franco Zeffirelli collabora tout du long de sa carrière dans le cadre de pièces de théâtre, de mises en scène d’opéra et de réalisatio­ns de longs métrages. L’on doit par exemple à Renzo Mongiardin­o les décors de Roméo et Juliette (1968), plus grand succès cinématogr­aphique de Franco Zeffirelli. Le réalisateu­r italien

qui défendait un cinéma esthète naquit à Florence le 12 février 1923 d’une liaison adultérine entre une dessinatri­ce de mode et un négociant en soie et laine. Abandonné par ses parents, il hérita d’un nom tiré d’un aria de Wolfgang Amadeus Mozart, Zeffiretti, choisi par sa mère mais qui, par une malencontr­euse faute de frappe, se mua en Zeffirelli. Placé chez une gouvernant­e anglaise, qui, non contente de lui enseigner sa langue, l’introduisi­t à la littératur­e anglaise, il s’enticha dès l’enfance d’opéra. À ses débuts, le jeune homme se voyait plutôt décorateur. Il suivit donc des cours d’architectu­re dans sa ville natale et s’essaya à la création de décors et de costumes. Tout au long de sa carrière, cette passion pour l’ornement ne le quitta jamais, puisqu’en parallèle de ses mises en scène il oeuvra souvent de concert sur des production­s comme La Bohème, La Traviata ou encore Aïda en tant qu’ensemblier.

Une relation volcanique

Jeune homme, ce beau blond se vit un temps acteur, mais sa rencontre avec Luchino Visconti scella véritablem­ent son destin. Il fut son collaborat­eur, puis son amant ; les deux hommes entretinre­nt dix ans durant une relation volcanique. Lorsque Visconti mettra en scène la comédie Comme il vous plaira, de Shakespear­e, en 1948, sur des décors de Salvador Dalí, Franco Zeffirelli se muera en homme de main des deux monstres sacrés, toujours à l’affût d’objets, de tissus et d’accessoire­s indispensa­bles aux besoins de la production. Il sera par la suite propulsé décorateur en chef sur trois autres mises en scène du maestro italien. Mais la relation entre les tourtereau­x, que séparaient 17 ans d’âge, se conclut avec fracas lorsque le jeune protégé ambitionna de se lancer en solo. À l’exemple de son mentor, il s’orienta vers la mise en scène de théâtre et d’opéra tout autant que de cinéma. La production d’Il Turco in Italia, en 1955, avec

Maria Callas, imposera son nom de la Scala de Milan à Covent Garden et jusqu’au Metropolit­an Opera. S’ensuivra une longue collaborat­ion avec la Diva. Si Franco Zeffirelli réalisa son premier long métrage en 1958, il lui fallut attendre dix ans pour triompher sur les écrans avec l’adaptation de Roméo et Juliette.

Dans les années 1970, ce fervent catholique dirigea des oeuvres d’inspiratio­n religieuse, dont la série Jésus de Nazareth, bénie par le Vatican, ou encore un biopic dédié à la vie de saint François d’Assise. Visages extatiques, images en clair-obscur empruntées à la peinture hollandais­e et naturisme hippy seventies insufflent un maniérisme halluciné à ses oeuvres d’alors.

Santons et bustes à l’antique

Les choses s’assombrire­nt dans les années 1990. Le réalisateu­r devint à deux reprises sénateur sous la bannière Forza Italia, ses positions politiques tout comme ses mises en scène se firent de plus en plus réactionna­ires, à tel point que le discrédit gagna sa production assimilée à des bimbeloter­ies décorative­s. Cadres photos en pagaille, santons et clochettes à tire-larigot envahirent dans les dernières années de sa vie les salons de sa vaste demeure romaine. Belle constructi­on des années 1930, la villa Dell’Appia Antica ne manquait pourtant pas d’allure avec son agencement néoclassiq­ue conçu par le maître de maison, où bustes à l’antique côtoyaient fragments de colonnes en plâtre, papiers peints panoramiqu­es et collection­s de gravures architectu­rales. Franco Zeffirelli acquit en 1967, alors qu’il préparait le tournage de son Roméo et Juliette, cette villa de taille à accueillir les jeunes acteurs de son film. L’élégance de ce cadre hors du tempssut séduire Silvio Berlusconi qui y réside depuis le printemps dernier. Franco Zeffirelli, qui se revendiqua­it descendant de Léonard de Vinci – et qu’importe si l’artiste, inventeur et philosophe n’eut jamais d’enfant –, laissera le souvenir d’un personnage baroque, ambigu et fantasque, à l’image de ses intérieurs grandiloqu­ents, mais néanmoins fascinants.

 ??  ?? FRANCO ZEFFIRELLI dans le jardin de sa maison de Positano, publié dans Vogue en août 1974.
FRANCO ZEFFIRELLI dans le jardin de sa maison de Positano, publié dans Vogue en août 1974.
 ??  ?? LE COIN SALON de la maison de Positano, agrémenté de coussins et de banquettes en coton indien brodé de sequins, d’un miroir et d’une table d’appoint syrienne. Sur la table basse, un buste de Marie- Caroline, reine de Naples. Cette photo a initialeme­nt été publiée dans Vogue en août 1974.
LE COIN SALON de la maison de Positano, agrémenté de coussins et de banquettes en coton indien brodé de sequins, d’un miroir et d’une table d’appoint syrienne. Sur la table basse, un buste de Marie- Caroline, reine de Naples. Cette photo a initialeme­nt été publiée dans Vogue en août 1974.
 ??  ?? DAIS À L’INDIENNE et mobilier syrien marqueté de nacre dans une chambre de la Villa TreVille.
DAIS À L’INDIENNE et mobilier syrien marqueté de nacre dans une chambre de la Villa TreVille.
 ??  ?? LE MAÎTRE DE MAISON devant ses céramiques dans les niches d’un cabinet de curiosités en faïence, paru dans Vogue en août 1974.
LE MAÎTRE DE MAISON devant ses céramiques dans les niches d’un cabinet de curiosités en faïence, paru dans Vogue en août 1974.
 ??  ?? LA GALERIE D’ENTRÉE de la Villa Dell’Applia, dans un esprit néoclassiq­ue avec ses murs recouverts de panoramiqu­es.
LA GALERIE D’ENTRÉE de la Villa Dell’Applia, dans un esprit néoclassiq­ue avec ses murs recouverts de panoramiqu­es.
 ??  ?? FRANCO ZEFFIRELLI et sa grande amie Eizabeth Taylor, qui joua dans son adaptation cinématogr­aphique de La Mégère apprivoisé­e en 1967, ici réunis dans les années 1980.
FRANCO ZEFFIRELLI et sa grande amie Eizabeth Taylor, qui joua dans son adaptation cinématogr­aphique de La Mégère apprivoisé­e en 1967, ici réunis dans les années 1980.

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