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Slavik, créateur à grand spectacle

Décorateur de lieux phare des années 1960-1970 et notamment du célèbre Drugstore des Champs-Élysées, Slavik s’est alors imposé comme un pionnier dans l’agencement de restaurant­s à forte personnali­té.

- Cédric Saint André Perrin PAR

Le décorateur de lieux phare des années 1960-1970, tel le célèbre Drugstore des Champs-Élysées, s’est imposé comme un pionnier de l’agencement de restaurant­s à forte personnali­té.

De ses lieux tant courus, rien ne subsiste : démolis, remisés, repensés. Son nom lui-même est tombé dans les oubliettes. Pourtant, décorateur prolixe avec plus de 400 restaurant­s à son actif, Slavik (19202014) aura marqué l’architectu­re commercial­e de la fin du siècle dernier. Sa renommée, ce Parisien d’origine russe la doit à son tout premier chantier, le Drugstore des Champs-Élysées, inauguré en 1958. Bien avant la vogue des concept stores façon Colette, ce magasin ouvert sept jours sur sept jusqu’à 2 heures du matin, alliant restaurant, librairie, pharmacie, disquaire, boutique de mode et gadgeterie, bouscule les genres. Les minets du XVIe sapés en Renoma, fans de Jacques Dutronc et amateurs de milk-shake, assurèrent le succès de ce temple de la consommati­on. Véritable phénomène de société, l’enseigne essaime de Saint-Germain-des-Prés à l’avenue Matignon, en passant par la Défense et Parly 2. D’ailleurs, avec ses bas-reliefs et sculptures de mains, bouches et oeil en bronze plaqués sur des boiseries façon club anglais, le décor du Drugstore de la Rive gauche synthétise à lui seul l’esprit Slavik.

À contre-courant des ambiances pop – skaï orange, formica violet – de rigueur à l’époque, le monsieur affectionn­e les matières nobles : cèdre verni, cuir pleine peau, verre de Murano et épaisses moquettes. Érigeant des décors hantés par l’atmosphère de lieux culte comme Maxim’s, Lipp ou encore Le Train Bleu, Slavik les assaisonne de gestes surréalist­es. Au Pub Renault, autre adresse mythique des Champs-Élysées, Slavik conçoit des boxes évoquant des véhicules Belle Époque avec banquettes en cuir capitonné, phare en guise de luminaire et rétroviseu­r pour reluquer la clientèle en salle. « Slavik était un homme original dans son allure, sa façon de parler, de penser et de créer »,

Marqué dans sa jeunesse par des artistes comme Salvador Dalí, Giorgio De Chirico ou Jean Cocteau, une certaine extravagan­ce caractéris­e son travail. À partir des années 1950, il épouse une approche assez moderniste du design. Au Pub Renault, les gaines d’aération sont laissées apparentes au plafond, dix ans avant le Centre Pompidou ! Slavik allie tradition, dadaïsme et Bauhaus. »

Un parcours créatif théâtral

Né Wiatschesl­av Vassiliev un 6 janvier 1920 à Tallinn, en Russie, il arrive en France à l’âge de 9 ans. Après des études de médecine abandonnée­s au début de la guerre, il se pique de peinture et suit les cours de l’École

nationale supérieure des Arts Décoratifs avant d’enchaîner avec l’Institut des hautes études cinématogr­aphiques (devenu Fémis). Décorateur de théâtre à ses débuts, il conçoit également des motifs fantasques ornant paravents, coff rets et coiffeuses pour les besoins du décorateur Jacques Adnet. S’ensuivent des commandes de cartons de tapisserie­s aux Gobelins et à Aubusson, mais ce sont ses vitrines percutante­s, libres et insouciant­es pour les Galeries Lafayette qui interpelle­nt Marcel Bleustein-Blanchet. Le fondateur du groupe Publicis lui confie en 1954 le départemen­t design de son agence. Là, il dessine équipement élect roménager, st ation service Shell ou encore prototypes de voitures Simca.

Des décors percutants

Le triomphe du Drugstore modifie définitive­ment le cours de sa carrière. « Il se spécialise alors dans les restaurant­s, il en concevra jus qu’à la fi n de sa carrière, reprend Peter

Knapp. S’il réalisa des boutiques pour Lanvin ou encore un loft à Neuilly, les restaurant­s furent son sujet de prédilect ion. C’était un bon vivant, il aimait manger, boire… mais je ne l’ai jamais vu ivre : Slavik était un vrai Rus se ! » Le Jules Vernes, la table gastronomi­que du deuxième étage de la tour Eiffel, le Berkeley, l’Européen… Longtemps il enchaîne les

réalisatio­ns à grand spectacle, les endroits à voir et où être vu… Au fil des ans pourtant, les expériment­ations dadaïstes laissent place à des relectures plus intégrales. Pubs anglais – Sir Winston Churchill –, bistrots parisiens d’influence Art déco – brasserie de l’hôtel Lutetia – ou Art nouveau – L’Assiette au boeuf – relèvent parfois du pastiche. Son approche thématique des lieux de conviviali­té aura pourtant inspiré moult génération­s de talents : Jacques Garcia et ses relectures Napoléon III dans les années 1990, plus près de nous le néoclassic­isme moderniste d’un Joseph Dirand. Un bel ouvrage collectif aux éditions Norma revient sur le parcours de ce visionnair­e, sur l’esprit festif, fougueux et aventureux de la fin des Trente Glorieuses également.

À lire

Slavik, les années Drugstore, de Pascal Bonafoux, Peter Knapp et Margo Rouard, aux Éditions Norma, 49 €, paraît le 8 octobre 2021.

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 ??  ?? SLAVIK attablé Chez Francis.
SLAVIK attablé Chez Francis.
 ??  ?? VUE SUR LA SALLE du Pub Renault surmontée d’une tuyauterie laquée de rouge.
VUE SUR LA SALLE du Pub Renault surmontée d’une tuyauterie laquée de rouge.
 ??  ?? VUE D’UN BOX façon intérieur d’automobile ancienne au Pub Renault.
VUE D’UN BOX façon intérieur d’automobile ancienne au Pub Renault.
 ??  ?? LE RESTAURANT LE JULES VERNE, au deuxième étage de la tour Eiffel, plongé dans le noir afin de concentrer les regards sur la vue.
LE RESTAURANT LE JULES VERNE, au deuxième étage de la tour Eiffel, plongé dans le noir afin de concentrer les regards sur la vue.
 ??  ?? LA SALLE DU DRUGSTORE SAINT- GERMAIN agencée autour de box, une constante dans les réalisatio­ns de Slavik.
LA SALLE DU DRUGSTORE SAINT- GERMAIN agencée autour de box, une constante dans les réalisatio­ns de Slavik.
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SLAVIK attablé au Petit Mâchon, restaurant de cuisine lyonnaise.

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