Une maison en son jardin
En Normandie, dans un vallon avec vue sur la mer, le paysagiste Pascal Cribier, aujourd’hui disparu, avait créé le plus beau des jardins. Alors que se pose désormais la question de son avenir, son frère nous en ouvre la porte.
En Normandie, dans un vallon avec vue sur la mer, le paysagiste Pascal Cribier, aujourd’hui disparu, avait créé le plus beau des jardins. Son frère nous en ouvre la porte.
Au fil des jours, une complicité très particulière se crée entre les gens qui jardinent ensemble, et même les travaux de force, ingrats aux yeux de certains, sont de merveilleux moments. » Cette phrase de Pascal Cribier, tirée du livre Itinéraire d’un jardinier*, son frère Denis pourrait la faire sienne. Lorsqu’il évoque les jours de travail acharné dans le bois de Morville, en Normandie, en compagnie de ses trois comparses, on voit l’émotion qui l’étreint, la mélancolie de ces beaux jours qui ont marqué sa vie. Et l’on sent bien que, s’il aime tant ce jardin au coeur d’une valleuse du pays de Caux, c’est parce qu’il lui évoque l’aventure d’une joyeuse bande de garçons sous le charme et la vision de l’un d’entre eux, créateur génial, intense, insatiable, fulgurant : Pascal Cribier. Le bois de Morville, sa maison, son paysage, entremêlent inextricablement les destins de quatre hommes qui en ont fait ce qu’il est aujourd’hui, un jardin unique. L’histoire commence lorsque Éric Choquet acquiert, dans les années 1950, un terrain boisé d’une dizaine d’hectares sur la commune de Varengeville et y fait construire une maison, qu’il décore de façon plutôt classique et confortable, toile de Jouy et papiers peints de paille japonaise, meubles « de style », qui vont se patiner avec le temps. Au début des années 1970, il rencontre Pascal Cribier, avec qui il commence une grande histoire qui va durer un demi-siècle. C’est lui qui oriente le jeune homme, alors pilote de kart, vers les Beaux-Arts, en 1972, et qui embraie dans ses projets quand Pascal, qui a enchaîné avec des études d’architecture, s’intéresse aux jardins et initie un grand plan pour la valleuse de Morville. Ils sont guidés par Robert Morel, leur fidèle maître jardinier qui fait corps avec cette nature normande à laquelle les trois hommes se confrontent alors, aidés par Denis, le jeune frère de Pascal.
Camélias, houx et graminées
Au fil des semaines, des mois, des années, alors que la notoriété de paysagiste de Pascal Cribier grandit, que son travail est reconnu, en France puis dans le monde entier, ils défrichent, élaguent et dessouchent de nombreux arbres pour dessiner la valleuse, plantent et replantent une belle sélection de végétaux jusqu’à trouver la place juste pour chacun, taillent de façon à ouvrir la vue, jusqu’au bas du vallon, sur la mer. Un travail colossal, entièrement effectué à la main, tant le terrain, fragilisé par son humidité, ne peut supporter l’intervention d’engins motorisés.
Ce jardin se découvre au fil d’une promenade soigneusement conçue, où des espaces très différents se succèdent naturellement : des « chambres de camélias », une prairie mouvante de graminées plantée de bandes fleuries, la terrasse et ses alignements géométriques, l’amphithéâtre du grand chêne somptueux, le labyrinthe de houx, le vallon de la mer et ses si sensuelles « îles » moussues… Tout l’art et les créations de Pascal Cribier se trouvent là, dans ce laboratoire de quelques hectares ardemment pensés et incessamment modelés.
Après la disparition de Robert, en 2006, puis celle de Pascal, usé par une maladie orpheline, en 2015, et enfin d’Éric, en 2019, Denis Cribier se retrouve à la tête d’un magnifique héritage au goût toutefois teinté d’amertume tant lui manquent l’esprit de camaraderie qui a dominé l’aventure et le modèle économique qui permettrait d’entretenir le lieu. Avec les jardiniers Sébastien Paré et Karine Julien, il continue à le maintenir dans son dess(e)in originel et réfléchit à la bonne façon de faire vivre ce domaine, d’ouvrir une nouvelle ère pour le jardin du Bois de Morville.